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AVS : des funambules dans l’Éducation nationale

mardi 12 juin 2012, par Greg

Élise et Pierre (tou-te-s deux Auxiliaires de vie scolaire individuel-le-s) travaillent, pendant le temps
de classe, auprès d’enfants en situation de handicap. Élise est en école élémentaire, avec un élève
de CE1 et l’autre en CM2, Pierre suit un élève en 4e et un autre en CAP (lycée pro).
Les deux apportent un témoignage sur leurs conditions de travail et leur manière d’envisager
leur rôle, aussi bien auprès de l’enfant, que de la classe et au sein de l’institution.

La loi de 2005 1 décrète que les personnes en situation de handicap ont droit à une scolarisation « normale », dans le milieu scolaire ordinaire. En développant une acception plus large de la notion de handicap (soulignant notamment sa dimension contextuelle), cette loi a eu pour effet d’intégrer à cette catégorie des situations ne relevant pas, jusqu’ici, de cette qualification (telles l’autisme ou les « troubles du comportement »). Cette volonté d’intégration s’appuie notamment sur le recrutement – aussi massif qu’expéditif – d’AVS-I (Auxiliaire de Vie Scolaire Individuel) et AVS-Co (AVS-Collectif), pour les classes adaptées accueillant plusieurs élèves handicapés). Les AVS ont pour mission d’accompagner ces jeunes, pendant le temps scolaire, aussi bien dans leur socialisation auprès des autres, que dans leur adaptation aux rythmes de la classe et leur accès aux apprentissages. Elles/ils s’occupent d’élèves atteints de handicaps très divers, allant de l’autisme à la dyslexie en passant par le handicap moteur. Ni prof suppléant-e, ni antisèche, ni ami-e, ni larbin, moins encore flic, l’AVS est là, mal assis-e entre différentes nécessités : la relation privilégiée à l’enfant et le respect de son rythme, les injonctions scolaires et l’effacement nécessaire à sa sociabilité et son autonomie.

Dès l’embauche, commence pour les AVS un exercice d’équilibriste, d’abord lié à l’institution. Après l’évaluation des besoins et difficultés de l’enfant par les commissions spécialisées, un-e AVS est recruté-e, sans prérequis 2. Nous sommes ensuite affecté-e-s auprès d’un-e ou plusieurs jeunes, sans être, le plus souvent, informé-e-s du niveau scolaire, du type de handicap de l’enfant, encore moins de la conduite à tenir à son côté. Le temps de présence et les missions varient de quelques heures à 24 heures hebdomadaires (durée légale maximale autorisée par nos contrats de travail). Nommé-e pour nous occuper d’un, deux, voire trois élèves, nous devons donc répartir ce temps entre les différents jeunes à accompagner. Si l’on est nommé-e sur un ou plusieurs établissements, l’emploi du temps doit tenir compte des besoins et contraintes de chacun-e des élèves et des nôtres (notamment en terme de déplacement, quand les établissements sont éloignés). Et nous voilà débarquant auprès des jeunes et des équipes éducatives, sans formation ni information préalables.

Équilibristes de la démerde

Débute alors le temps de la démerde. On observe. On essaie de comprendre les difficultés de l’enfant, sans apparaître auprès des enseignant-e-s comme intrus-e, juge de leur manière d’enseigner ou d’être au sein de la classe. Notre arrivée peut aussi susciter des attentes démesurées de leur part, comptant parfois sur nous pour pallier à leurs difficultés d’encadrement de la classe. Les points de vue de l’AVS et de l’enseignant-e étant très différents, la communication peut être délicate. En passant du temps auprès de nos élèves, on apprend à connaître leur fonctionnement, leurs réactions, leurs limites, leurs capacités. Bien plus, parfois, que les enseignant-e-s, qui s’occupent de l’ensemble des élèves, et ne sont généralement pas plus formés que nous sur le handicap. Mais cette connaissance privilégiée peut être difficile à faire valoir auprès de ces dernier-e-s, comme des autres intervenant-e-s (enseignant-e-s spécialisé-e-s, psy scolaire, etc.) car aucune qualification particulière ne vient l’appuyer. Se mettre dès le début en lien avec les équipes éducatives peut permettre de désamorcer les tensions possibles suscitées par notre présence. Or ce temps de concertation, non prévu dans nos emplois du temps, implique que les un-e-s et les autres acceptent d’y consacrer leurs moments de pause.

Jongler entre soutien, normes scolaires et autonomie

La place auprès de l’élève n’est pas non plus facile à trouver : pris-e entre la crainte de le/la stigmatiser ou d’être trop présent-e et par la volonté de lui être – ou de se sentir – utile. Noter le cours, reformuler la consigne, l’aider à décomposer les tâches. L’encourager, valoriser ses progrès, dédramatiser les échecs. Reconcentrer quand les moments de distraction s’éternisent. Voilà quelques-unes de nos activités principales. Mais aussi, parfois, calmer, rappeler à l’ordre en cas de débordement, l’empêcher de prendre les autres élèves pour déversoir de sa colère et de sa frustration. Refuser de continuer à l’aider quand, de soutien, il/elle nous transforme en larbin. Encaisser des rejets, des mots désagréables, se sentir parfois inutile ou malvenu-e. L’équilibre est régulièrement remis en jeu entre aide, efficacité, respect mutuel et acceptation de la différence de l’autre.
En étant au quotidien au côté de l’élève, on lui rappelle malgré nous continuellement, ainsi qu’aux autres, sa différence. On s’attache aussi. Parfois au point d’être surinvesti-e et de vouloir lui épargner les échecs en faisant à sa place. On l’observe attentivement, on tente de décrypter ses difficultés, ses appréhensions, et d’ajuster nos interventions pour lui laisser la place de faire elle/lui-même, sans le regard et la présence de l’adulte. Délicat, aussi, de trouver une juste mesure entre ses capacités actuelles, son potentiel et les injonctions scolaires. Nous sommes là pour l’aider, en respectant son rythme, à chercher des ajustements qui lui permettent de s’adapter autant que possible à la norme scolaire. Et ces jeunes ont pleinement conscience de cette norme. Au point d’être parfois plus conformistes que les autres, façon peut-être de compenser leur dissonance. Plutôt que de devenir gardien-ne-s de la norme, l’enjeu est avant tout de pallier à leurs difficultés, d’accroitre leur confiance en eux et de favoriser leur autonomie et leur intégration à la vie de la classe.

Ne pas rester trop seul-e en piste

Pour permettre cette intégration, plusieurs leviers sont envisageables. À commencer par un vrai statut pour les personnels accompagnants : sortir les AVS de la précarité en les recrutant sur la base de contrats pérennes, leur permettant d’envisager un suivi à long terme des élèves, d’accéder à la formation continue, de se forger des outils et une expérience. Les conditions actuelles de formation sont en effet un pis-aller. Entré-e-s en poste en novembre et décembre, nos formations ont seulement débuté fin janvier. Quand elles ont lieu pendant nos heures de travail nous devons choisir entre suivre nos élèves ou nous former. Sur notre temps libre, ces heures ne sont pas rémunérées. Si leur contenu peut être intéressant, il reste souvent très généraliste et peu à même de répondre aux galères du terrain.

Les groupes de retour sur la pratique ont lieu le soir, alors que nombre d’AVS exercent une autre activité ou se trouvent chargé-e-s de famille. Une organisation plus systématisée et moins parcellaire du recrutement permettrait d’aménager des sessions de formation avant la prise de poste, et la pratique pourrait être alimentée par des groupes de travail sur les situations concrètes tout au long de l’année. De même, intégrer véritablement les problématiques du handicap dans la formation des enseignant-e-s serait un levier crucial. L’ensemble des élèves pourrait également être sensibilisé aux difficultés rencontrées par certain-e-s ­de leurs camarades, pour dédramatiser leur situation,­ éviter qu’elle reste tabou, source d’in­compréhension.
Participer davantage aux réunions de l’équipe éducative (prises en compte dans le temps de travail), pour discuter des besoins de l’élève permettrait de tisser un lien plus solide entre les différent-e-s intervenant-e-s, créant les conditions d’une vraie co-formation. On pourrait ainsi développer des modes d’intervention plus adaptés, entrecroisant nos ­observations et les expériences des enseignant-e-s en termes de transmission, d’attente scolaire, de relation éducative. Pendant le temps de classe, il nous semble aussi important, pour nos élèves comme pour nous, de pouvoir laisser des respirations dans l’accompagnement. En apportant par exemple un soutien à d’autres élèves. Les jeunes en situation de handicap sont en effet loin d’être les seuls à avoir du mal à s’adapter à la norme et aux attentes scolaires !

La présence des AVS répond, dans l’état actuel de l’institution scolaire et des dispositifs d’intégration des élèves handicapés, à un réel besoin. Il est donc essentiel d’en faire un vrai métier et non plus une activité précaire d’équilibriste. ■

Élise et Pierre,
auxiliaires de vie scolaire individuel(le)s.

1. Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

2. Massivement recruté-e-s en contrat aidé, dans le vivier des chômeur/se/s, à n’importe quel moment de l’année scolaire.

AVS : des contrats de plus en plus précaires

Depuis sa création, cette fonction a donné lieu à de multiples formes de contrat, de droit public ou privé. Or cette succession de contrats a mené à une précarisation croissante des statuts. D’abord recrutés pour cinq ans renouvelables une fois (contrats de droit privé d’aides-éducateurs et d’emplois-jeunes), puis pour trois ans renouvelables une fois (contrats de droit public d’assistants d’éducation), puis en contrats d’avenir (contrat de droit privé d’une durée maximale de 36 mois), la plupart des AVS sont aujourd’hui recruté-e-s en tant qu’Emploi vie scolaire (EVS faisant fonction d’AVS), en Contrats uniques d’insertion (CUI).

Ces contrats aidés sont conclus pour un an et renouvelables une fois. Ils sont réservés aux « demandeurs d’emploi » et titulaires des minimas sociaux. Par ailleurs ces contrats de droit privé donnent droit à cinq semaines de congés payés. L’Éducation nationale se sert de cet argument pour payer les AVS 20 heures par semaine (sur la base du SMIC horaire, soit 657 euros par mois) pour 24 heures travaillées, pour compenser les vacances scolaires…

Actuellement, plusieurs des statuts cités coexistent, ce qui rend plus complexe, pour les AVS, la défense collective de leurs droits.

► Pour plus d’infos et d’outils de lutte :

http://www.cnt-f.org/fte/?-Juridique-

http://www.sudeducation.org/-Dossier-precarite-.html

http://apen76.fr/KITS_de_SURVIE_STATUTS/kit_de_survie_personnels_VIE_SCOLAIRE_EN.html

Messages

  • Bonjour à toutes et à tous,
    Après avoir été EVS auprès de deux enfants en école élémentaire pendant deux ans, je suis maintenant AVS Collective en CLIS auprès de 12 élèves sur deux écoles élémentaires . Quel que soit le contrat en individuel ou en collectif, le statut est très flou et je n’ai qu’un espoir c’est que ce boulot soit professionnalisé et reconnu !