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Culture ouvrière vs culture scolaire

lundi 18 juin 2012, par Greg

"On n’abolit pas une société de classes à coup d’examens et de diplômes…" c’est le genre de réflexion étayée par une minutieuse et passionnante enquête sociologique que l’on découvre sous la plume de Paul Willis dans L’École des ouvriers (1977).

Dix ans après les fameuses analyses de Bourdieu et Passeron, le sociologue et ethnographe anglais de la mouvance des cultural Studies, a voulu aller plus loin que ses inspirateurs et comprendre comment « les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers » (sous-titre de l’ouvrage). Les mécanismes d’intériorisation des règles sociales sont en effet dédoublés par un processus de construction-appropriation d’une identité ouvrière revendiquée principalement à travers le développement d’une culture anti-école : « La résistance au travail intellectuel devient une résistance à l’autorité telle qu’elle leur a été enseignée à l’école. » Pour mettre à jour ce processus, l’originalité de Willis est d’avoir relié et étudié parallèlement non seulement l’univers scolaire fréquenté par ces jeunes ados mais aussi leur quartier et la transition avec le monde de l’atelier qui les attend et les attire. Ainsi replacée dans son contexte social, l’école n’est plus le sanctuaire fantasmé par certains. Cette évidence, une fois démontrée, éclaire aussi l’impasse de nombres d’analyses boiteuses sur le système éducatif et ses enjeux sociaux.

On assiste donc à un décryptage des ressorts d’une éducation culturelle ouvrière, une culture définie comme « les modes de vie mis en œuvre par et pour la classe ouvrière », qui éclaire « ce que peut-être la lutte des classes sur le plan des idées ». Sans angélisme pour autant : les réflexes collectifs et antihiérarchiques se mêlent au sexisme le plus abject et au racisme affirmé et assumé.

La culture anti-école est un moyen pour ces jeunes garçons de se réapproprier leur temps et leur espace, et ce qui pourrait apparaître pour l’observateur extérieur comme un enfermement et une soumission à l’ordre établi et aux déterminismes sociaux et vécu ironiquement comme une insoumission et une libération. L’entretien publié en postface, dans lequel Willis revient sur son ouvrage presque quarante ans plus tard, rappelle qu’« il est important de prendre en compte que cette école publique qui fournit une éducation pour tous grâce à une longue histoire de luttes syndicales et sociales, que cette école, qui a un coût important d’ailleurs pour les travailleurs à travers les impôts, bref, que cette même école surprend toujours et déçoit toujours une partie de la jeunesse qu’elle accueille ».

De bout en bout l’ouvrage est traversé par la tension entre la logique individuelle – qui est celle de l’école et des classes moyennes ou supérieures – et les logiques collectives de solidarité – celles de l’atelier des pères ou de la bande des ados.

Loin de s’en tenir au constat, Paul Willis avance donc des pistes : sociales – à travers les luttes collectives pour l’école, pour arracher des moyens pour une « autre » école – mais aussi et surtout pédagogiques permettant de renverser la dimension individuelle du système au profit d’une approche collective et solidaire du savoir (inspirée du monde de l’atelier), d’un accès à la maîtrise du symbolique et de l’expression structurée, mais aussi à une plus grande sensibilité des enseignants à cette culture ouvrière. Bref, un programme de pédagogie sociale !

(PS : cette recension s’appuie pour une large part sur l’excellent article de Najate Zouggari « Les ”Hammertowns boys“ de Paul Willis, de la culture (anti-)scolaire à la culture d’atelier » publié dans le n° 5 de la Revue des livres (mai-juin 202).

L’École des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers, Paul Willis, trad. B. Hoepffner, Agone, 2011, 456 p., 25 €.