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Le marché du soutien : des cours à la hausse

dimanche 6 novembre 2011, par Greg

Printemps 2011 : la presse se fait l’écho d’une étude européenne sur le marché des cours de soutien [1].
Avec 2,5 milliards, les familles françaises se placent en tête du palmarès pour les dépenses de cours du soir, devant l’Allemagne (1,5 milliard) et la Grèce (950 millions). Alors qu’il supprime 70 000 postes,
le gouvernement a mis en place une défiscalisation de ces heures de soutien (jusqu’à 50 %)
et a également intégré ce secteur aux « chèques-service », pour le plus grand bénéfice des grosses enseignes.

Si le système est pour le moins scandaleux dans un contexte de désengagement financier de l’État, souvenons-nous que ce marché des cours particuliers a longtemps été « tenu » par les enseignants eux-mêmes [2]… la marchandisation de l’édu­cation empruntant parfois des chemins inattendus.

Mais, aujourd’hui, ce secteur dit « souterrain » recule chaque année au profit des grands groupes qui se partagent un « marché de l’angoisse » des plus juteux. Entre 1996 et 2007, on est passé de 30 millions d’heures de cours à 40 millions. Alors que les heures non déclarées progressaient, selon les estimations, de 3 % sur la période, le marché officiel faisait quant à lui un bond de 35 %, profitant de la défiscalisation. Acadomia, le leader incontesté, a multiplié par 10 son chiffre d’affaires depuis sa création, en 1989. Il a passé la barre des 100 millions d’euros de chiffre d’affaires [3], et ouvre chaque année une dizaine « d’agences », recrutant à tour de bras ses « conseillers pédagogiques ».
D’après l’étude européenne du sociologue Mark Bay [4], l’explosion du soutien scolaire privé témoigne à la fois d’une décrédibilisation du système éducatif, d’une certaine inefficacité de celui-ci et d’un besoin, pour les enseignants, d’arrondir les fins de mois. L’étude souligne au passage que « cela semble être l’une des raisons pour lesquelles les gouvernements comme les syndicats tendent à éluder le sujet ».

La réponse institutionnelle – l’accompagnement éducatif – n’effraie en tout cas pas le directeur ­d’Aca­domia. « Nos missions sont distinctes et les collégiens de Zep ne sont pas nos premiers clients. Et si la volonté est d’aider chaque enfant individuellement, il faudra engager plus de 500 000 professeurs à l’Éducation nationale. Je ne pense pas que ce soit à la mode ! » se plaît-il à déclarer. Une analyse assez juste quand on regarde attentivement les faits. Nicolas Vauvillier, autre PDG du secteur, dit n’avoir « aucune inquiétude, car la proposition du ministre n’est pas concurrente de la nôtre. L’offre du ministère pour les orphelins de 16 heures est ciblée pour l’instant sur la 6 e et la 5 e ; or notre demande majeure, c’est plutôt de la 3 e à la terminale ».
Loin de favoriser les familles populaires, la défiscalisation à profiter aux plus riches mais surtout, par le transfert du secteur informel aux sociétés de service, aux grands groupes privés. Là est la nouveauté. Sodexho ou Accor pourraient ainsi être amenés à investir le marché du soutien scolaire, par des rachats, des partenariats avec les entreprises existantes ou en développant leur propre activité. Les banques, les mutuelles et les sociétés d’assurance commencent également à s’intéresser à ce marché.

Avec un coût moyen de 1 616 à 1 817 € par an (soit un mois de salaire médian…), ces cours restent réservés, sur la durée, à une élite en quête de distinction et de rentabilisation plus que d’éducation. Une logique parfaitement analysée par François Dubet : « Les parents savent que leurs enfants jouent leur avenir dans le système scolaire.
La compétition est brutale et le soutien extra-scolaire, c’est comme un dopage. »

C’est en tout cas un des enseignements de l’enquête : non seulement le soutien ne représente pas de valeur ajoutée pédagogique mais il serait aussi contre-productif. Les études notent que les cours privés renforcent les inégalités et « encouragent le bachotage en mettant l’accent sur les sujets d’examen passés et en se bornant à donner des conseils sur les questions probables et à inculquer des stratégies pour répondre aux questions dans les limites de temps imposées ». ■

Grégory Chambat


[11 The Challenge of Education : Private tutoring and its implications for policy makers in the European Union, mai 2011.

[22 41 % des cours de soutien seraient donnés par des enseignants eux-mêmes, au noir et, dans 13 % des cas, à leurs propres élèves.

[33 Le chiffre d’affaires du soutien scolaire en France est affiché en direct, seconde par seconde, surhttp://www.planetoscope.com (voir : chiffre-d-affaires-du-soutien-scolaire-en-france.html). Impressionant !

[44 Op. cit.