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Témoignages de professeurs stagiaires

vendredi 21 janvier 2011, par Greg

NB. : les prénoms ont été modifiés..

« Je ne suis pas sûre qu’il y ait encore une formation dans dix ans »

Lucie : étudiante en M2

Comment imaginez-vous la formation dans dix ans ?

Je ne suis pas sûre qu’il y ait encore une formation dans dix ans. Cela semble déjà très compliqué aujourd’hui. Je pense que devenir CPE ne se fait pas du jour au lendemain et ne pas connaître le terrain avant de passer le concours peut apporter beaucoup de désillusion. J’ai la chance d’être déjà contractuelle et de travailler avec des personnes qui me font confiance et m’apportent beaucoup dans mon travail.

Ce n’est pas aussi simple pour tout le monde et pas toujours facile quand on n’a aucune expérience et qu’on se retrouve seule du jour au lendemain dans un établissement scolaire à 35 heures à devoir tout gérer. C’est bien d’avoir un tuteur mais, quand celui-ci a déjà une grosse surcharge de travail, ça devient très compliqué de demander conseil ou de demander de l’aide.

Je ne suis pas sûre que les universités auront envie de prendre cette formation en charge comme le faisaient les IUFM. À l’Université aujourd’hui, nous sentons bien que les différents acteurs responsables des parcours sont un peu paumés et qu’ils récupèrent les anciens étudiants d’IUFM à la préparation des concours sans savoir ce qu’ils vont faire de nous.

« Mais peut-être que c’est volontaire »

Aurélie : Stagiaire CPE

Comment s’est passée la rentrée ?

C’était stressant mais dans un premier temps l’académie de Créteil a bien fait les choses car elle a échelonné la rentrée à partir de la fin août. Il y a plusieurs réunions de prérentrée, ce qui nous a aidés à prendre nos marques. En revanche, une fois en poste on est très vite dépassé. Concrètement on te demande de prendre la parole à la réunion de prérentrée devant l’assemblée et d’annoncer ce que tu vas faire en tant que CPE sans avoir préparé de réponse à cette question en étant pris en dépourvu. D’au­tres n’ont pas du tout été sollicités car leur tuteur était présent. D’un côté on a préparé la rentrée avec le rectorat, mais en même temps on est mis direct dans le bain sans être accompagné.

Selon vous, comment lutter contre cette réforme ?

Il est un peu tard pour la masterisation, tandis que pour la formation des stagiaires le fait de remonter nos difficultés ainsi que les chiffres d’abandon (30 % sur toute l’académie tous concours confondus) devrait donner matière à réfléchir. En effet arriver en poste comme nous l’avons fait et dans les conditions actuelles demande d’être très solide nerveusement et physiquement. Vous dire que je n’ai jamais craqué serait mentir mais je m’accroche car ce métier est un véritable choix, et les élèves, la raison pour laquelle je me lève chaque matin.

Comment voyez-vous la formation des stagiaires dans dix ans ?

Si rien n’est fait l’école publique va perdre énormément et les élèves avec. Mais peut être que c’est volontaire : une façon détournée d’asseoir l’école à deux vitesses. Normalement lors des premiers pas dans le métier, dynamisme, enthousiasme et investissement sont les mots d’ordre des nouvelles recrues, mais en l’absence de formation, tout n’est que désenchantement, déception et parfois colère aussi.
Tous les changements, toutes les réformes depuis quelques années, universités comprises semblent faire progressivement basculer notre système vers un modèle anglo-saxon où seuls ceux qui ont les moyens pourront rêver à un avenir professionnel choisi.

« Je suis pessimiste parce que je suis épuisée »

Charlotte : stagiaire prof de français en collège

Comment s’est passée la rentrée ?

La rentrée a été stressante. Je n’ai pas eu de tuteur pendant les premières ­
semaines. J’ai donc dû préparer mes cours toute seule, sans savoir comment il faut s’y prendre. C’était extrêmement fatigant et angoissant. Finalement, une bonne âme de mon établissement est venue à mon secours et a proposé de devenir mon tuteur.
Je ne suis professeur que depuis deux mois, mais les choses empirent. Je n’ai plus l’énergie que j’avais au retour des vacances, j’ai très peu de temps pour moi, et je rencontre de sérieuses difficultés de discipline avec deux de mes classes. J’imagine que lorsqu’on a quelques années d’expérience, on sait comment ne pas prendre tout cela trop à cœur, moi je n’en suis pas là. Cela devient de plus en plus difficile à gérer, tant au niveau du temps passé à préparer les cours qu’au niveau de la gestion classe. Et bien sûr, plus je suis fatiguée, plus cela se dégrade.

Selon vous, comment lutter contre cette réforme ?

Il faut absolument revenir à un tiers de temps de travail et à une formation plus régulière et plus soutenue. Mais comment y parvenir ? J’avoue que je n’en sais rien.

Comment voyez-vous la formation des stagiaires dans dix ans ?

Malheureusement, je crois que les choses vont empirer. J’imagine des étudiants qui auront validé un master « métiers de l’enseignement » mais n’auront pas eu le concours, pourront néanmoins être contractuels. Une nouvelle vague de professeurs précaires, en somme. Et même, ce que je redoute le plus : la disparition des concours de l’enseignement, remplacés par l’embauche des « masterisés ». Et bien sûr, tous commenceraient à travailler dans des conditions similaires aux miennes, c’est-à-dire lâchés dans l’arène, peut-être même sans aucune formation du tout, puisque le fameux master préparera à l’enseignement. Comme dans de nombreux domaines, ils auront effectué un ou plusieurs stages, ce qui tiendra lieu de formation. Je suis pessimiste parce que je suis épuisée.

Engagez-vous, enragez-vous !

Lors de la réunion du vendredi 3 décembre, qui s’est tenue au lycée G.-Eiffel à Bordeaux, les professeurs stagiaires ont assisté à une « formation » où se sont succédés à la tribune deux militaires, un major et un colonel accompagnés d’un IPR d’histoire et d’un professeur agrégé d’histoire, commandant de réserve. Les thèmes abordés : « l’enseignement de la défense », « la défense aujourd’hui : nouvelles menaces, nouvelles configurations, les enjeux », « un exemple de partenariat Défense/lycée ». Tout ça avec en arrière-plan des images de jeunes militaires avec des armes à la main en exercice de tirs. Beaucoup des collègues, furieux que l’on se moque de leurs préoccupations quotidiennes (apprendre à construire des séquences de cours, par exemple) ont commencé à quitter massivement les lieux… ce qui a rendu furieux IPR et gradés…

Selon une dépêche de l’AEF, on apprend que l’université de Franche-Comté accompagne les 450 étudiants non admissibles au concours d’enseignant dans leur projet de « reconversion ». Cette opération s’appelle… « Le temps des talents ». Le but « définir, grâce à un accompagnement renforcé, la liste des métiers auxquels leur diplôme et leurs compétences leur permettent d’accéder ». Parmi les étudiants qui ont échoué au concours de l’IUFM, 57 % d’entre eux trouvent un emploi à durée indéterminée en moins de trois mois, ce qui est inférieur de dix points au taux d’emploi des détenteurs d’une licence. « Il s’agit pour eux de bâtir un plan B ou C, alternatif et réaliste ». La responsable de cette action explique : « Les compétences transversales acquises à l’Université intéressent les premiers partenaires qui travaillent avec nous », citant à titre d’exemple l’armée, la chambre des métiers et les collectivités territoriales. Un des premiers objectifs : aider les étudiants à faire le deuil de leur projet initial de devenir enseignant.
Selon l’évaluation qui sera faite de cette opération, il pourrait être intégré dans les maquettes de l’ensemble des masters dédiés à l’enseignement.

Au début, on croit d’abord à un canular. Mais non.

(Dépêche AEF n°141337 Dijon, vendredi 26 novembre 2010).