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Une mobilisation sociale historique en Grande-Bretagne : entretien avec un militant des IWW-Education/ version courte

lundi 9 mai 2011, par Greg

N’Autre Ecole : Peux-tu décrire les politiques menées actuellement par votre gouvernement et leurs conséquences pour les travailleurs ?

Simon Galliers (IWW Education, Grande-Bretagne) : Le Gouvernement de coalition - les Conservateurs/ Libéraux-Démocrates - est un gouvernement qui va de la droite au centre, formé après qu’aucun parti n’ait eu la majorité aux dernières élections législatives. A peine ce nouveau gouvernement a-t-il été formé qu’il a procédé à des coupes budgétaires aveugles pour remettre l’économie sur les rails. Ces coupes budgétaires dans le service public vont faire des milliers de chômeurs et cela aura aussi un effet pour des milliers de gens qui travaillent dans le privé. En fait, ces coupes commencent à faire sentir leurs effets dès maintenant.

L’éducation et le système de santé public vont changer de façon drastique. Dans l’éducation, il y a déjà eu une augmentation des frais de scolarité pour les étudiants et d’autres choses. Le système de santé doit aussi changer, de sorte que les médecins généralistes auront davantage leur mot à dire sur la façon dont le service est exécuté et qu’ils auront un large contrôle sur une part du budget.

Les banques sont en grande partie responsables de la récession, par un excès de spéculation et la distribution de très gros bonus et de primes au départ pour les cadres. La colère du public sur cette affaire et la fureur liée aux bonus viennent de ce que l’argent des contribuables a été utilisé pour renflouer les banques. Mais s’ils savaient vraiment à quel point leur argent a été utilisé de cette façon, la colère pourrait atteindre des paroxysmes.

Ce gouvernement essaye de rendre les banques plus responsables en les soumettant à davantage de taxes. Mais le prélèvement de 2,5 milliards de livres du ministre des finances George Osborne représente en réalité une réduction d’impôt, puisque la taxe du gouvernement travailliste précédent avait permis de récupérer 3,5 milliards de livres l’année dernière. Les banques bénéficieront aussi de la diminution de l’impôt sur les sociétés, de 28% à 24%, qui commence en avril. Donc il apparaît que les banques ne vont pas du tout être frappées durement par ce gouvernement.

Les vrais dégâts vont concerner les gens aux salaires les plus bas, particulièrement s’ils travaillent pour les conseils municipaux locaux. Tous ces conseils vont endurer des coupes budgétaires sauvages. La seule ville de Manchester aura ou devra procéder à des coupes d’environ 100 millions de livres. Les gens qui vivent là sont absolument épouvantés du niveau de ces coupes, qui vont affecter leurs services.

Quelques économistes estiment que faire des coupes dans une période de récession n’est pas prudent, parce que cela peut finalement mener à plus de récessions et probablement à une dépression qui pourrait durer des décennies. Il semble donc que le gouvernement n’ait pas vraiment considéré toutes les options, en diminuant les subventions aux conseils. Au lieu de cela, ils ont livré un point de vue idéologique, à partir duquel ils pensent savoir ce qui est bon pour le pays.

N’AE : On sait qu’il y a eu des luttes sociales dans l’éducation en Grande-Bretagne ces derniers mois. Peux-tu nous en expliquer plus précisément les raisons ?

SG : Quand le gouvernement est d’abord arrivé au pouvoir, on ne savait pas tout à fait clairement où ils feraient des changements majeurs dans l’éducation. Michael Gove, le ministre de l’Education, a décrit plus tard ses principaux objectifs. Un de ses buts était d’encourager davantage d’écoles à devenir des « académies », ou écoles libres. A peine avait-il annoncé ses intentions qu’il y eut une opposition ferme à ces académies, en grande partie parce qu’elles seraient en dehors du contrôle des collectivités locales. Il y a aussi eu beaucoup d’insistance pour que des SEN (special educational needs- besoins éducatifs spéciaux) soient pourvus. De nouvelles académies ne pourraient pas livrer ces services supplémentaires si des fonds n’étaient pas trouvés pour eux ou si la direction de ces académies choisissait de ne pas les avoir.

Les conditions de travail des personnels de ces académies remettent en question des accords nationaux avec les syndicats d’enseignant et des autres personnels assistants, de sorte qu’il s’agit bien de remettre en question le rôle des syndicats dans les écoles. C’est clairement un mouvement de privatisation de l’éducation et une remise en cause des droits du personnel scolaire.

Une académie fonctionne essentiellement à travers un sponsor privé, qui peut par la suite désigner la majorité du conseil d’administration, prendre le contrôle sur les conditions d’emploi, les bâtiments et le territoire. Le programme des études sera aussi décidé par le chef d’établissement et le conseil d’administration, qui décident sans nécessité de consultation d’aucune sorte.

Il y a neuf ans le sujet de la citoyenneté est devenu une partie obligatoire du programme dans le secondaire(collège, lycée), au niveau national. Le plan du Premier Ministre d’abandonner l’éducation à la citoyenneté a mis en colère beaucoup de professeurs qui avaient travaillé avec les enfants sur beaucoup de projets.

Le point suivant concerne l’EMA (Educational Maintenance Allowance), qui est une aide pour les étudiants des familles défavorisées qui veulent rester à l’école. Un grand nombre d’adolescents sont descendus dans la rue contre les réformes de l’éducation de la coalition. C’était pour manifester contre l’abolition de l’aide. Les étudiants ont voyagé dans tout le pays pour protester contre l’abandon de l’EMA- un versement hebdomadaire pour les 16-18 ans, dont le revenu du foyer est inférieur à 30,800 livres. L’allocation a déjà été fermée à de nouveaux demandeurs.

La question suivante concerne l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants qui vont à l’université. Les syndicats rejettent complètement l’idée que les étudiants devraient payer davantage pour l’éducation. L’augmentation des frais d’inscription serait un fardeau énorme pour les étudiants de famille de revenus inférieurs. Certains ne pourraient pas se permettre des frais qui pourraient varier de 6000 à 9000 livres par an. D’autres feront certainement face à des dépenses encore plus hautes. Il apparait que le gouvernement crée un système élitiste dans lequel les étudiants cossus auront l’avantage sur ceux qui sont issus d’un milieu social moins favorisé.

N’Autre Ecole : Face à cette situation, comment se sont déroulées les mobilisations ?

SG : Avec l’augmentation des frais d’inscription et la proposition de suppression de l’EMA, une vague énorme de protestations d’étudiants et de travailleurs a eu lieu en Grande-Bretagne, du presque jamais auparavant. En fait, cela a été une inspiration pour les syndicalistes et d’autres groupes qui s’opposent au plan de ce gouvernement.

Les syndicats de l’éducation et le NUS ont organisé une manifestation nationale, « Financez notre futur : arrêtez les coupes dans l’éducation ». Cela a eu lieu le 10 novembre 2010 dans le centre de Londres. Les étudiants qui sont allés protester portaient des banderoles et des pancartes comme « Education gratuite », « F**K les frais d’inscription, éducation gratuite maintenant ».

Les organisations les plus radicales et militantes ont encouragé leurs membres et sympathisants à participer à ces protestations. Ce groupe a formé un bloc « Travailleurs et étudiants radicaux », qui soutenait tous ceux qui dans l’éducation s’opposaient aux coupes budgétaires et s’appuyait sur les principes de solidarité, d’action directe et de contrôle des luttes par la base.

Au siège du parti conservateur, à Londres, des manifestants ont envahi, occupé et attaqué les bâtiments, ce qui a mené à une confrontation directe avec la police. Des étudiants ont donné des coups de pied dans les fenêtres ou ont utilisé des chaises, des marteaux et des barres de fer pour briser le verre dans l’entrée du bâtiment. Tout comme ceux qui ont été arrêtés, 250 personnes ont été fouillées, photographiées et sont sorties sous la menace d’une investigation ultérieure.

50 étudiants ont été arrêté dans l’émeute de Milbank et sont sortis sous caution. La manifestation a été un succès retentissant, avec 50 000 travailleurs de l’éducation et étudiants pour Londres seul. Il y a eu des mobilisations dans d’autres villes, avec des chiffres également considérables.

La principale étape suivante des mobilisations étudiantes commença autour du mercredi 24 novembre. Après la première vague massive de protestation à Londres, la Campagne nationale contre les hausses de frais d’inscription et les coupes budgétaires a appelé à une journée nationale de grève.

Des milliers d’étudiants et de lycéens (on a estimé qu’ils étaient 130 000) ne sont pas allé en cours, ont défilé et occupé des bâtiments dans tout le pays au cours de cette journée d’action massive en une quinzaine de jours. A Londres, 5000 personnes défilèrent, notablement plus jeunes que celles qui prirent part à la manifestation du 10 Novembre. Des étudiants et des lycéens se rassemblèrent par milliers au centre de Manchester. Un nombre similaire se réunit à Liverpool. Une foule de 2000 personnes protesta à Sheffield, un millier à Leeds et 3000 à Brighton. Il y eut des événements similaires dans d’autres villes. Il y a eu des perturbations à Cambridge.

La vague suivante de protestations a commencé le 8 décembre avant que le gouvernement ne réussisse à augmenter les frais d’inscription. Une veillée aux bougies a eu lieu avec 9000 bougies qui représentaient 9000 livres de frais d’inscription. Le 9, environ 40 000 personnes manifestèrent.

La voiture du Prince Charles et de la duchesse de Cornwall a été attaquée après que les députés aient voté pour l’augmentation des frais d’inscription en Angleterre. Des manifestants se sont battus avec la police sur la place du Parlement. David Cameron, le premier ministre, a dit trouver « choquante et regrettable » l’attaque de la voiture du prince.
Les frais d’inscription vont presque tripler, à 9000 livres par an.

N’Autre Ecole : Que peux-tu nous dire de la dernière grande manifestation en date, celle du 26 mars 2011 ?

SG : Le 26 Mars 2011 est l’étape suivante de cette saga de la protestation. On s’attendait à ce que ce soit, à Londres, une des plus grandes manifestations britanniques qui se soit jamais déroulé, en opposition aux coupes sauvages du gouvernement. Cette manifestation massive au centre de Londres, aussi connue comme Marche pour l’Alternative, était organisée par le TUC (Trade Union Congress). Il n’y avait pas que les syndicats TUC, d’autres organisations étaient représentées.

On estime à 500 000 personnes le nombre de participants. Il a été dit qu’il s’agissait de la plus grande manifestation en Grande Bretagne depuis celle contre la guerre en Irak en 2003. C’était aussi la plus grande manifestation syndicale depuis la seconde guerre mondiale. La manifestation est partie du Quai de la Tamise puis est passée par les Chambres du Parlement et a continué son chemin à Hyde Park où un grand rassemblement s’est tenu. Là, il y a eu de nombreuses prises de parole.

Tandis que la manifestation principale allait à Hyde Park, d’autres manifestants ont forcé 13 magasins à Oxford Street. D’autres, comprenant des communistes révolutionnaires, des anarchistes et d’autres organisations d’extrême-gauche ont occupé l’hôtel Ritz et ont envoyé des projectiles. Le fameux magasin de Fortnum & Mason à Picadilly a été occupé. Comme la manifestation principale passait à Fortnum Mason, il y a eu une acclamation des manifestants.
Pendant les manifestations, plus de 200 personnes ont été arrêtées pour trouble. Plus de 60 ont été blessées. Dans l’ensemble, la manifestation du samedi 26 mars a été très largement pacifique. D’autres marches et protestations seront probablement planifiées à propos des réformes du système de santé.


N’Autre Ecole : Que penses-tu des syndicats britanniques ?

SG : Dans ce pays, ces dernières années, les syndicats ont connu une lente renaissance en terme d’influence, en faveur des droits des travailleurs sur le lieu de travail et dans la société. Cependant, au cours des années, les principaux syndicats ont semblé faire des accords faciles avec les employeurs, sans réellement consulter leurs membres. Cela a rendu les travailleurs très sceptiques à leur égard, ils se demandent si les syndicats les représentent vraiment.

Pour les cas individuels, les syndicats semblent distants et inutiles. Certains syndiqués disent « Je ne sais pas pourquoi je suis membre d’un syndicat », « Qu’est-ce qu’ils font pour toi ? » et « Ils ne vous disent jamais rien et ne vous envoient même pas un bout de papier sur ce qui se passe ». L’individu disparaît dans l’insignifiance et la hiérarchie de ces syndicats, largement insouciants de la frustration de leurs membres.

On pourrait donc arguer que ces grands syndicats sont très bureaucratiques et peu démocratiques. Les syndicats britanniques ont largement été réduits à s’occuper de leurs affaires internes et de leurs protocoles, sans consulter la volonté de la vaste majorité de ses membres. Mais au vu de tout ce qui a été dit, les syndicats, s’ils sont correctement motivés, peuvent offrir des changements réels pour la vie des gens. Ils pourraient être plus en phase avec la classe des travailleurs que n’importe quel gouvernement et guider les travailleurs loin du monde capitaliste factice dans lequel nous vivons.

N’Autre Ecole : Pour finir, peux-tu nous présenter le syndicat des travailleurs de l’éducation des IWW ? Y-a-t-il des endroits où les « wobblies » peuvent avoir une influence dans les luttes actuelles ?

Les Industrial Workers of the World sont à la base un mouvement anarcho-syndicaliste et le syndicat industriel des travailleurs de l’éducation réunit tous les travailleurs de ce secteur. Le secteur de l’éducation est l’un des plus syndiqués en Grande-Bretagne. En conséquence, les IWW education accueillent des travailleurs de l’éducation qui sont déjà dans un autre syndicat (je suis délégué syndical à UNISON pour l’équipe de support dans une école). Nos membres sont engagés à la fois dans un travail indépendant d’organisation des IWW et dans un travail dans les principaux syndicats, pour le pousser vers une plate-forme radicale et démocratique.

Nous restons petits mais nous grossissons en membres et en confiance. Actuellement, le syndicat industriel des travailleurs de l’éducation est la plus grande section des IWW en Grande-Bretagne. Nos membres sont occupés à syndiquer sur leur lieu de travail, à représenter d’autres membres dans des auditions disciplinaires, à soutenir des luttes et à participer à des campagnes de base.

Récemment, des membres des IWW de Glasgow et de Dumfriesshire ont mené une campagne réussie contre la fermeture d’un campus de l’université de Glasgow qui a uni des travailleurs, des étudiants et des membres de la communauté locale, en récupérant de fait près d’un million et demi de livres du parlement écossais.

Dans les luttes actuelles, les IWW Education ont été actifs en soutenant et en aidant les étudiants et le personnel des universités et des collèges dans les occupations. Beaucoup de membres des IWW ont participé aux actions, fait face aux attaques de la police et à l’hystérie des médias et sont fiers de participer au développement de ce mouvement de protestation.

Les IWW ont depuis longtemps promu l’Action Directe et il est clair que l’action directe de masse qui est apparue dans tout le pays, avec des occupations, des blocages et des grèves surprises perturbe le système tandis que des leaders autoproclamés comme Aaron Porter (NUS) et Sally Hunt (UCU) les condamne et décourage les gens qu’ils affirment représenter. Des décennies de connivence entre les patrons et les dirigeants ont démantelé les ressources matérielles et les valeurs fondamentales du système éducatif et l’ont mis à genoux. Le but ultime des IWW est de supprimer la dominance d’une minuscule minorité sur nos vies et de travailler collectivement et de manière coopérative à construire un monde meilleur. Le mouvement qui a émergé dans l’éducation ouvre la voie pour des luttes plus larges et montre comment créer une réelle alternative aux plans du gouvernement.

Simon Galliers, pour les IWW Education Workers

Propos recueillis par Fabien Delmotte (CNT Éducation)