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Une mobilisation sociale historique en Grande-Bretagne : entretien avec un militant des IWW-Education / version longue

lundi 9 mai 2011, par Greg

N’Autre Ecole : Peux-tu décrire les politiques menées actuellement par votre gouvernement et leurs conséquences pour les travailleurs ?

Simon Galliers (IWW Education, Grande-Bretagne) : Le Gouvernement de coalition - les Conservateurs/ Libéraux-Démocrates - est un gouvernement qui va de la droite au centre, formé après qu’aucun parti n’ait eu la majorité aux dernières élections législatives. A peine ce nouveau gouvernement a-t-il été formé qu’il a procédé à des coupes budgétaires aveugles pour remettre l’économie sur les rails. Ces coupes budgétaires dans le service public vont faire des milliers de chômeurs et cela aura aussi un effet pour des milliers de gens qui travaillent dans le privé. En fait ces coupes commencent à faire sentir leurs effets dès maintenant.

L’éducation et le système de santé public vont changer de façon drastique. En fait, dans l’éducation, il y a déjà eu une augmentation des frais de scolarité pour les étudiants et d’autres choses. Le système de santé doit aussi changer, de sorte que les médecins généralistes auront davantage leur mot à dire sur la façon dont le service est exécuté et qu’ils auront un large contrôle sur une part du budget.

Les banques sont en grande partie responsables de la récession, par un excès de spéculation et la distribution de très gros bonus et de primes au départ pour les cadres. Le gouvernement précédent avait commencé à nationaliser les banques en faillite et était en train d’en liquider des parties pour rationaliser les affaires. La colère du public sur cette affaire et la fureur liée aux bonus viennent de ce que l’argent des contribuables a été utilisé pour renflouer les banques. Mais s’ils savaient vraiment à quel point leur argent a été utilisé de cette façon, la colère pourrait atteindre des paroxysmes.

Le prêt du secteur privé et les banques d’investissement ont une attitude particulièrement basse, en refusant des prêts même à la minorité d’hommes d’affaires qui veulent emprunter, tandis qu’ils amassent le capital. Andrew Cave, à la tête de la Fédération des petites entreprises, a dit : « Nous sommes très préoccupés. La récession est terminée maintenant et nous retournons avec bon espoir à la croissance, mais les banquent continuent de ne pas prêter et les petites entreprises évitent les banques. Le facteur peur est la clef- beaucoup de petites sociétés craignent que s’ouvre la boîte de Pandore s’ils s’approchent de leur banque ; que leur compte entier puisse être réévalué et que les termes de leurs prêts existants soient modifiés. C’est tout le mal que pensent beaucoup des plus petites entreprises des banques. Nous devons réparer la relation entre les sociétés et les banques au plus bas niveau, pour que les sociétés puissent parler à leur banque dans un environnement de soutien, positif ».

Ce gouvernement essaye de rendre les banques plus responsables en les soumettant à davantage de taxes. Mais le prélèvement de 2,5 milliards de livres du ministre des finances George Osborne représente en réalité une réduction d’impôt, puisque la taxe du gouvernement travailliste précédent avait permis de récupérer 3,5 milliards de livres l’année dernière. Les banques bénéficieront aussi de la diminution de l’impôt sur les sociétés, de 28% à 24%, qui commence en avril. Donc il apparaît que les banques ne vont pas du tout être frappées durement par ce gouvernement.

Les vrais dégâts vont concerner les gens aux salaires les plus bas, particulièrement s’ils travaillent pour les conseils municipaux locaux. Tous ces conseils vont endurer des coupes budgétaires sauvages.
La seule ville de Manchester aura ou devra procéder à des coupes d’environ 100 millions de livres. Les gens qui vivent là sont absolument épouvantés du niveau de ces coupes, qui vont affecter leurs services.

On devrait permettre aux conseils locaux faisant face à ces diminutions sauvages d’emprunter, pour financer un grand programme de construction de maisons, qui répondrait à la crise aigüe du logement tout en générant de nouveaux revenus locaux. Un investissement dans l’infrastructure verte, comme le rail, pourrait être entrepris. Cependant, ces sortes d’offre n’ont pas été à disposition des entreprises ou des conseils municipaux, donc ceux-ci n’ont aucune autre option que de diminuer les services et de rendre du personnel superflu. Les entreprises licencieront aussi nécessairement des gens, puisque le gouvernement ne leur donnera pas d’incitations à au moins conserver leurs activités.

Quelques économistes estiment que faire des coupes dans une période de récession n’est pas prudent, parce que cela peut finalement mener à plus de récessions et probablement à une dépression qui pourrait durer des décennies.

Il semble donc que le gouvernement n’ait pas vraiment considéré toutes les options, en diminuant les subventions aux conseils. Au lieu de cela, ils ont livré un point de vue idéologique, à partir duquel ils pensent savoir ce qui est bon pour le pays.

N’AE : On sait qu’il y a eu des luttes sociales dans l’éducation en Grande-Bretagne ces derniers mois. Peux-tu nous en expliquer plus précisément les raisons ?

SG : Quand le gouvernement est d’abord arrivé au pouvoir, on ne savait pas tout à fait clairement où ils feraient des changements majeurs dans l’éducation. Michael Gove, le ministre de l’Education, a décrit plus tard ses principaux objectifs. Un de ses buts était d’encourager davantage d’écoles à devenir des « académies », ou écoles libres. A peine avait-il annoncé ses intentions qu’il y eut une opposition ferme à ces académies, en grande partie parce qu’elles seraient en dehors du contrôle des collectivités locales. Les LEA ( local education authorities, autorités de l’éducation locale) s’occupaient en effet de ces écoles et leur offraient des services. Il y a aussi eu beaucoup d’insistance pour que des SEN (special educational needs- besoins éducatifs spéciaux) soient pourvus. De nouvelles académies ne pourraient pas livrer ces services supplémentaires si des fonds n’étaient pas trouvés pour eux ou si la direction de ces académies choisissait de ne pas les avoir.

Les syndicats qui représentent les travailleurs de l’éducation refusent d’accepter ces « académies » parce qu’ils fonctionnent sur des bases non démocratiques et qu’ils ne garantissent ni un enseignement complet et adapté aux enfants ni des conditions de travail et une rétribution justes pour le personnel scolaire. Les conditions de travail des personnels de ces académies remettent en question des accords nationaux avec les syndicats d’enseignant et des autres personnels assistants, de sorte qu’il s’agit bien de remettre en question le rôle des syndicats dans les écoles. C’est clairement un mouvement de privatisation de l’éducation et une remise en cause des droits du personnel scolaire.

Le gouvernement a récemment supprimé le SSSNB ( Schools Support Staff Negotiation Body, Organisme de négociation pour les personnels asssistants des écoles). Cela signifie que le salaire et les conditions de travail acceptés pour les professeurs ne s’appliqueraient plus désormais aux personnels d’appui. Voici quelques élements en faveur de la nécessité et de l’inclusion des SSSNB :
Le rôle des assistants scolaires s’est considérablement développé et est devenu partie intégrale de la réussite des élèves et de la gestion locale des écoles.

L’embauche de ces personnels s’est développée au petit bonheur, ce qui se retrouve dans les disparités de recrutement, de leur maintien, l’efficacité du déploiement ou les difficultés à leur assurer une paie égale.

Le SSSNB a été établi pour introduire une certaine cohérence, justice et transparence pour le personnel d’assistance scolaire, sans empêcher la fléxibilité locale.

L’organisme a déjà fait des progrès significatifs dans le développement d’une structuration nationale, incluant une nouvelle formulation pour le temps de travail et une classification des différents profils pour mesurer les emplois.

La campagne contre ces nouvelles écoles a été articulée à des revendications pour une éducation libre à tous les niveaux de la maternelle à l’université, pour les droits civils et syndicaux dès 16 ans, pour le droit de quitter l’école et de suivre une formation con tinue, des apprentissages... Une académie fonctionne essentiellement à travers un sponsor privé, qui peut par la suite désigner la majorité du conseil d’administration, prendre le contrôle sur les conditions d’emploi, les batiments et le territoire. Ces nouvelles académmies qui se financent elles-même pourraient s’assécher si les structures financières qui sont mises en places pour elles ne sont pas au rendez-vous. Elles réduisent aussi le contrôle démocratique (déjà limité) des parents, enseignants, personnel d’asssitance et des collectivités locales sur le fonctionnement de leur école. Le programme des études sera aussi décidé par le chef d’établissement et le conseil d’administration, qui décident sans nécessité de consultation d’aucune sorte.

Il y a neuf ans le sujet de la citoyenneté est devenu une partie obligatoire du programme dans le secondaire(collège, lycée), au niveau national. L’homme qui en était responsable, David Blunkett, qui était ministre de l’education d’un précédent gouvernement travailliste, a mené une délégation pour faire pression sur le gouvernement actuel afin qu’il n’abandonne pas cet aspect. Des groupes de juristes et de défense des droits de l’homme ont soutenu la campagne, qui a été organisée par la coalition Democratic Life (Vie démocratique). Elle comprenait Law Society, la Citizenship Foundation (qui avait fait beaucoup à l’époque pour obtenir ce sujet dans le programme), Amnesty International et le British Institute of Human Rights.

En Novembre dernier, la National Foundation for Education Research et le Department for Education (DfE) ont publié les dernières résultats d’une longue étude sur l’impact de cette éducation à la citoyenneté, en suivant un nombre important d’étudiants passés par le secondaire. Il y avait des résultats mélangés mais de manière générale une « augmentation marquée et stable de la participation civique et politique des jeunes et des indicateurs prevoyant que ces jeunes continueront d’y participer à la vie adulte ». L’étude recommandait aussi des manières d’améliorer l’efficacité de ces leçons. Elle demandait de les lier à des questions plus larges, comme l’enseignement légal public, la possibilité des aides juridiques et insiste de manière générale sur l’importance des questions juridiques à tous les niveaux. Elle y incluait aussi une série de sciences sociales.

Le plan du Premier Ministre d’abandonner l’éducation à la citoyenneté a mis en colère beaucoup de professeurs qui avaient travaillé avec les enfants sur beaucoup de projets. Le chef d’établissement du lycée de Shirley de Southampton, Cassie Ellins, s’est rappellé un projet qui avait été proposé et délivré par 10 élèves sur la responsabilité dans la baisse du niveau de criminalité. Ces étudiants ont rapporté les vues de diverses personnes de leur communauté, fait un film et invité dans l’école des parties prenantes comme la police pour discuter de leurs découvertes.

Le point suivant concerne l’EMA (Educational Maintenance Allowance), qui est une aide pour les étudiants des familles défavorisées qui veulent rester à l’école.

Un grand nombre d’adolescents sont descendus dans la rue contre les réformes de l’education de la coalition. C’était pour manifester contre l’abolition de l’aide. Les étudiants ont voyagé dans tout le pays pour protester contre l’abandon de l’EMA- un versement hebdomadaire pour les 16-18 ans, dont le revenu du foyer est inférieur à 30,800 livres. L’allocation a déjà été fermée à de nouveaux demandeurs.

Les militants ont organisé une manifestation à l’extérieur du Parlement et ont fait pression sur les députés dans la Chambre des communes. Des adolescents de deux universités de Londres ont tenu des conférences sur l’importance de la confiance dans une salle à proximité du parlement. D’autres amenèrent des biscuits avec une inscription en sucre glace « Sauvez l’EMA ».

Cependant, le gouvernement a finalement abandonné l’EMA, malgré l’inquiétude des étudiants.

La question suivante concerne l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants qui vont à l’université. Beaucoup d’universités d’élite pourraient devenir inaccessibles pour les étudiants les moins aisés. Il y a eu une comission montée par le Sutton Trust pour examiner combien couteraient les formations diplômantes si le plafond actuel de 3,290 livres était remplacé.

Lord Brown, qui était à la tête de la commission, voulait que les universités soient autorisées à conserver jusqu’à 10,000 livres par an des gains issus des frais de scolarité. Le gouvernement a incroyablement dit que le financement de l’université n’était pas « l’usage prévu ».

Les universités obtiennent beaucoup de financements d’étudiants membres ou non de l’Union Européenne. Par exemple, l’UCL (University College London) fait payer à des étudiants étrangers 16,725 livres pour un diplôme en physique, dans les affaires ou l’informatique, alors que les étudiants britanniques paient 3,2920 livres. La London School of Economics fait payer deux fois plus que des universités en bas de classement. Le professeur Steve Machin a dit que les frais d’inscription en licence pourraient « rapidement augmenter, particulièrement pour des formations diplomantes comme les affaires, avec les retours les plus hauts ».

Il a ajouté : « Il y a la préoccupation évidente que ces grandes variations dissuadent les étudiants d’origine moins privilégiée. Certaines universités et les filières aux retours financiers les plus avantageux deviennet hors de portée pour ces étudiants ».

Lord Brown a suggéré que l’on autorise les universités à avoir davantage d’étudiants étrangers, tout en conservant pour les étudiants britanniques les chiffres d’’aujourd’hui.

Aaron Porter, le président de NUS (National Union of Students, Union Nationale des Etudiants) a dit : « Heureusement, beaucoup de politiciens ont promis de s’opposer à l’augmentation des frais d’inscription et nous les ferons tenir leur promesse pour empêcher l’émergence d’un marché dommageable et destructeur dans les frais d’inscription qui accentuerait les privilèges et profiterait à une élite étroite.

Les syndicats rejettent complétement l’idée que les étudiants devraient payer davantage pour l’éducation. L’augmentation des frais d’inscription serait un fardeau énorme pour les étudiants de famille de revenus inférieurs.Certains ne pourraient pas se permettre des frais qui pourraient varier de 6000 à 9000 livres par an. D’autres feront certainement face à des dépenses encore plus hautes. Il apparait que le gouvernement crée un système élitiste dans lequel les étudiants cossus auront l’avantage sur ceux qui sont issus d’un milieu social moins favorisé.

Il parait probable que les organismes qui proposent des formations professionnelles mettront en place un système similaire de frais d’inscription, c’est-à-dire des augmentations. Les étudiants qui veulent suivre ces filières ou les travailleurs qui y vont pour acquérir d’autres compétences devront casquer à cause de ces augmentations.

N’Autre Ecole : Face à cette situation, comment se sont déroulées les mobilisations ?

SG : Avec l’augmentation des frais d’inscription et la proposition de suppression de l’EMA, une vague énorme de protestations d’étudiants et de travailleurs a eu lieu en Grande-Bretagne, du presque jamais auparavant. En fait, cela a été une inspiration pour les syndicalistes et d’autres groupes qui s’opposent au plan de ce gouvernement.

Les syndicats de l’éducation et le NUS ont organisé une manifestation nationale, « Financez notre futur : arrêtez les coupes dans l’éducation ». Cela a eu lieu le 10 novembre 2010 dans le centre de Londres.

Les étudiants qui sont allés protester portaient des banderoles et des pancartes comme « Education gratuite », « F**K les frais d’inscription, éducation gratuite maintenant ».

Les organisations les plus radicales et militantes ont encouragé leurs membres et sympathisants à participer à ces protestations. Ce groupe a formé un bloc « Travailleurs et étudiants radicaux », qui soutenait tous ceux qui dans l’éducation s’opposaient aux coupes budgétaires et s’appuyait sur les principes de solidarité, d’action directe et de contrôle des luttes par la base – et non par des bureaucrates syndicaux ou des leaders politiques, qui sont toujours hésitants à se battre vraiment contre le gouvernement jusqu’à ce qu’il écoute.

Ce groupe radical comprenait des travailleurs et des étudiants anarchistes, syndicalistes ou d’extrême-gauche qui se sont organisé ensemble comme on ne l’avait jamais vu auparavant. Ces manifestants étaient mobilisés en faveur d’une lutte des classes indépendante, contre la gauche officielle qui cherche à canaliser le dissentiment dans l’élection d’un autre gouvernement travailliste. Le groupe poussait pour que la lutte se répande dans les lieux de travail et sur les campus aussi bien que dans les rues, dans la solidarité avec les collègues et les communautés.

Ils avaient aussi l’objectif d’être une présence anticapitaliste visible dans les manifestations, pour dire que c’est le capitalisme qui a causé la crise et conduit à ces coupes budgétaires, que la lutte des classes et l’action directe sont nécessaires pour rendre la pareille : occupations, grèves et désobéissance civile.

Au siège du parti conservateur, à Londres, des manifestants ont envahi, occupé et attaqué les bâtiments, ce qui a mené à une confrontation directe avec la police. Au nombre des actions les plus extrêmes, un manifestant a lancé un extincteur du toit. Sam Davies, un étudiant en anthropologie de 19 ans a dit : « Dans le bâtiment, quelques personnes se sont saisies d’extincteurs et les ont pulvérisé dans les bureaux qu’ils ont saccagé ». L’homme qui a jeté l’extincteur s’est échappé avant que la police n’arrive.

Les autres étudiants ont donné des coups de pied dans les fenêtres ou ont utilisé des chaises, des marteaux et des barres de fer pour briser le verre dans l’entrée du bâtiment. Tout comme ceux qui ont été arrêtés, 250 personnes ont été fouillés, photographiés et sont sortis sous la menace d’une investigation ultérieure.

La colère montrée par les manifestants était évidente, car ils savaient que le gouvernement ne les écouterait pas, d’autant plus qu’il les forçaient à payer des sommes inacceptables pour pouvoir s’inscrire.

L’extrême-gauche et les anarchistes ont su être présents. Le bloc des Travailleurs ouvriers radicaux, identifié par des drapeaux rouge et noir qui flottaient sur le toit du siège du Parti (Milbank Tower), était organisé par la Fédération Anarchiste, avec la London Solidarity Federation (anarchosyndicaliste, AIT, ndt). Le groupe Lutte des classes de Leeds et le groupe anarchiste Whitechapel ont aussi confirmé qu’ils étaient impliqués dans les ennuis. Ils ont contribué à reculer les frontières de la protestation et de l’opposition politique, qui n’a pas été vue très longtemps. Les drapeaux rouges et noirs, les banderoles et la propagande sont sortis au grand air... Ces manifestants croyaient en une lutte pour un monde meilleur où les besoins humains compteraient en premier.

Les manifestants ont raillé l’opération de police, en disant que « le peu de flics qui s’étaient manifestés parurent tout à fait impuissants face à la masse qui leur faisait face ». La présence policière était effectivement très mince sur le terrain. On a estimé à 50 000 le nombre de manifestants à Londres et la police avait très certainement sous-estimé cette possibilité. Le directeur de la police de Londres a indiqué qu’il aurait à revoir le maintien de l’ordre pour les futures manifestations.

Certains témoins ont affirmé que beaucoup de personnes impliquées dans la destruction du bâtiment ou les tags de slogans anarchistes étaient déjà partis au moment où la police gagnait le contrôle de la situation et procédait à des arrestations.

David Graeber, un conférencier en anthropologie à Goldsmiths, a dit qu’il était « très fier » des étudiants, ajoutant : « Ils vont nous présenter comme des voyous mais vraiment ils sont des voyous et nous représentons la civilisation ».

Liv Thurley, 18 ans, élève de l’école Fortismere à Muswell Hill, au nord de Londres, a été photographié dans les débris à l’intérieur du bâtiment et a dit : « nos parents l’ont fait dans les années soixante et nous le faisons maintenant. Nous le faisons pour les générations futures. »

Son ami, Aryana Hessami, 17 ans, de North Finchley, inscrit au Woodhouse College et qui espère étudier l’histoire de l’art à Oxford a dit : « Les gens qui prennent ces décisions ont obtenu leur éducation gratuitement et maintenant ils veulent que nous payons. En plus des 9000 livres de frais de scolarité, je vais devoir payer les couts de la vie courante. Evidemment, la violence est mauvaise mais c’est seulement de cette manière qu’ils nous écouteront ».

50 étudiants ont été arrêté dans l’émeute de Milbank et sont sortis sous caution.

La manifestation a été un succès retentissant, avec 50 000 travailleurs de l’éducation et étudiants pour Londres seul. Il y a eu des mobilisations dans d’autres villes, avec des chiffres également considérables.

L’appel à une approche plus militante a eu beaucoup de succès.
A la suite de l’action de protestation, le président de NUS, Aaron Porter, a estimé qu’ils étaient allés trop loin et que c’était inacceptable. Il a pointé le comportement agressif des étudiants à Milbank et indiqué qu’il devrait y avoir des limites à la protestation.

A Newsnight sur BBC 2, Clare Salomon, présidente du syndicat de l’université de Londres, a excusé l’action plus militante des étudiants. Interrogée à propos d’une fenêtre brisée à Milbank, elle a répondu que la fenêtre pouvait être remplacée mais que détourner les étudiants de l’éducation en imposant des hausses de frais de scolarité ruinerait irreversiblement leur avenir. Elle a dit qu’en fait la plupart des étudiants envisageaient des actions plus radicales pour se faire entendre. Elle a ajouté qu’Aaron ne représentait pas non plus les souhaits et les vues de la majorité des membres de NUS.

La principale étape suivante des mobilisations étudiantes commença autour du mercredi 24 novembre. Après la première vague massive de protestation à Londres, la Campagne nationale contre les hausses de frais d’inscription et les coupes bugetaires a appellé à une journée nationale de grève.

Des élèves d’une école de Londres formèrent ce jour-là une chaîne humaine autour d’un fourgon de police, prévoyant que des étudiants voudraient le briser en morceaux. Ces jeunes filles savaient très bien ce qu’elles faisaient. Des étudiants ont estimé que le fourgon avait été mis là délibérement afin qu’il soit attaqué, pour prouver que les étudiants sont sauvages et dangereux.

Des milliers d’étudiants et de lycéens (on a estimé qu’ils étaient 130 000) ne sont pas allé en cours, ont défilé et occupé des bâtiments dans tout le pays au cours de cette journée d’action massive en une quinzaine de jours.

Il y eut quelques incidents isolés de violence et de confrontation avec la police, principalement à Londres. La police a adopté la stratégie d’enfermer les étudiants et manifestants dans un périmètre près de la place du Parlement pour contenir le désordre, ce qui les a mis en colère même si le plan de la police a fonctionné.

Le soir, la police montée a chargé directement 1000 étudiants à Trafalgar Square. La police poursuivait les manifestants qui finirent par leur lancer des balises de déviation, des chaises et d’autres objets. Des fenêtres de bus ont été brisées et des vitrines attaquées.

Le gouvernement a condamné les protestations, en disant qu’elles étaient manipulées par des groupes d’extrême gauche. Michael Gove, le ministre de l’éducation, a dit aux médias de ne pas leur donner « l’oxygène de la publicité », ce qui reflète vraiment ce que Margaret Tatcher avait dit de la couverture de l’IRA par la télevision dans les années 1980. Il a ajouté « Je réponds aux arguments, je ne réponds pas à la violence ».

En contraste, Nick Clegg, des Libéraux-Démocrates, a parlé de ses regrets de devoir admettre ces augmentations de frais d’inscription. Avant l’élection, il s’y était opposé, comme son parti. Cela en a fait la cible de la colère étudiante une fois sa promesse electorale abandonnée. Il a parlé de ses « regrets massifs ».

« Je regrette bien sûr de ne pas pouvoir tenir ma promesse parce que – comme dans la vie- parfois vous ne contrôlez pas toutes les choses qu’il faudrait pour accomplir vos engagments ». « Bien sûr, je regrette massivement de me retrouver dans cette situation ». Au-delà de ses compromis, il a dit que les Démocrates Libéraux étaient forcés dans la coalition et que les finances du pays étaient plus mauvaises que prévues. Des étudiants ont pendu une effigie de Nick Clegg dans les manifestations. Il a répondu qu’il avait la peau dure.

Leon McCluskey, le nouveau leader de Unite, le plus gros syndicat britannique, s’est mis avec son syndicat au premier rang d’une « alliance de resistance ». McCluskey dit : « Il y a une colère comme nous n’en avons pas vu depuis la poll tax (capitation, impôt très inégalitaire créé par Tatcher en 1989, qui suscita des émeutes, ndt).

A Londres, 5000 personnes défilèrent, notablement plus jeunes que celles qui prirent part à la manifestation du 10 Novembre.

Des étudiants et des lycéens se rassemblèrent par milliers au centre de Manchester, où il y eut quatre arrestations. Un nombre similaire se réunit à Liverpool. Une foule de 2000 personnes protesta à Sheffield, un millier à Leeds et 3000 à Brighton. Il y eut des événements similaires dans d’autres villes. Il y a eu des perturbations à Cambridge.

A Londres, 17 personnes ont été bléssées. 13 d’entre elles ont du aller à l’hôpital, comprenant deux policiers, dont un pour un bras cassé. 22 personnes ont été arrêtées par la police. Une étudiant d’art âgée de 19 ans a été prise en photo en train d’arrêter des marcheurs masqués en train d’attaquer un fourgon. Elle leur criait « Nous allons être mal présenté par les médias. Nous sommes juste en train de détruire un fourgon de police ».

La police a envoyé plus d’agents cette fois-là après l’echec des 250 policiers à controler la foule de 50 000 manifestants de la première manifestation de Londres. Ils ont parqué des manifestants dans des secteurs délimités. Des parents sont même aller supplier les cordons de police de relâcher leurs enfants. Les pires violences eurent lieu après 6 heures, quand la police laissa sortir les manifestants.

Des enfants portaient leur cravate autour de la tête par défi et avaient l’air de se rendre à Woodstock. Cela semblait être du théâtre de rue mais il y avait de vraies motivations à ces actes comme ceux de ces écolières qui se sont tenu les mains autour du fourgon de police. Elles connaissaient certainement le pouvoir des images. L’image était protectrice et paisible, réfléchie dans son intensité.

Dans le futur les historiens pourraient écrire que la coalition démocrate-libérale a perdu le jour où les écoliers sont descendus dans la rue. Il y a déjà eu des comparaisons avec 1968. Cependant, il faut se souvenir que cette fois les manifestants sont beaucoup plus jeunes. Ces manifestations sont presque romantiques et dégagent un sentiment de courage et de créativité.

La vague suivante de protestations a commencé le 8 décembre avant que le gouvernement ne réussisse à augmenter les frais d’inscription. Une veillée aux bougies a eu lieu avec 9000 bougies qui representaient 9000 livres de frais d’inscription. Le 9 environ 40 000 personnes manifestèrent. Il y a eu deux manifestations à Londres, l’une organisée par le NUS et l’autre par l’ULU, syndicat de l’Université de Londres. Les deux cortèges se sont ensuite rejoint. Il y a aussi eu un rassemblement à Edinburgh.

La voiture du Prince Charles et de la duchesse de Cornwall a été attaquée après que les députés aient voté pour l’augmentation des frais d’inscription en Angleterre. La fenêtre a été brisée et la voiture recouverte de peinture, mais le couple fut indemne. Des manifestants se sont battus avec la police sur la place du Parlement. Des centaines d’entre eux ont été contenu un moment sur le pont de Westminster par les policiers. La police a dit que 12 policiers et 43 manifestants avientt été blessés et qu’elle avait arrêté 34 personnes.

David Cameron, le premier ministre, a dit trouver « choquant et regrettable » l’attaque de la voiture du prince. Le commissaire de police Sir Paul Stephenson a dit qu’il y aurait une « enquête très sérieuse et détaillée » sur les turbulences qui ont blessé 10 policiers.

Les frais d’inscription vont presque tripler, à 9000 livres par an. La majorité du gouvernement a été amputée par une rebellion de députés de base. 3 aides ministerielles ont démissioné. 28 députés Démocrates Libéraux – moins de la moitié- ont voté pour les plans d’austérité du gouvernement. Six députés conservateurs ont voté contre.

Il y a eu des missiles envoyés à travers les lignes de police. Des fenêtres du Trésor et de la Court Suprême en Angleterre ont été brisées.

Cette protestation et les autres servaient à montrer au gouvernement que les étudiants et les travailleurs s’opposent , aux coupes budgetaires, à la hausse des frais de scolarité, à l’abandon de l’EMA. Beaucoup de gens ont reconnu que pour améliorer notre système éducatif il devrait aussi y avoir un programme intensif pour reconstruire l’industrie, la production, la fabrication sous le contrôle des travailleurs et avec la participation des communautés.

N’Autre Ecole : Que peux-tu nous dire de la dernière grande manifestation en date, celle du 26 mars 2011 ?

SG : Le 26 Mars 2011 est l’étape suivante de cette saga de la protestation. On s’attendait à ce que ce soit, à Londres, une des plus grandes manifestations britanniques qui se soit jamais déroulé, en opposition aux coupes sauvages du gouvernement.

Cette manifestation massive au centre de Londres, aussi connue comme Marche pour l’Alternative, était organisée par le TUC (Trade Union Congress). Chaque syndicat qui constitue le TUC était représenté et ce fut une énorme marche. Il n’y avait pas que les syndicats TUC, d’autres organisations étaient représentées.

On estime à 500 000 personnes le nombre de participants. Il a été dit qu’il s’agissait de la plus grande manifestation en Grande Bretagne depuis celle contre la guerre en Irak en 2003. C’était aussi la plus grande manifestation syndicale depuis la seconde guerre mondiale.

La manifestation est partie du Quai de la Tamise puis est passée par les Chambres du Parlement et a continué son chemin à Hyde Park où un grand rassemblement s’est tenu. Là, il y a eu de nombreuses prises de parole.

Brendan Braber, le secrétaire général du TUC s’est adressé à la foule.

« C’est fantastique de voir autant de monde ici. Des milliers de personnes sont ici à Hyde Park, des milliers d’autres sont encore en train de défiler. Et des dizaines de milliers d’autres ne sont pas encore parti du Quai. Ensemble, nous envoyons un message clair au gouvernement : que nous sommes forts et unis, que nous combattrons leurs coupes sauvages, que nous ne les laisserons pas détruire les services, le travail et la vie des gens. Jeunes et vieux, noirs et blancs, hommes et femmes, nous venons de différentes parts et de toute la Grande Bretagne. Syndicalistes, membres d’associations et d’organisations de communautés locales, personnes terrifiées à l’idée de perdre leur travail et de ce que cela signifie pour leur famille, personnes qui voient la hache s’abattre indistinctement sur des services absolument essentiels, l’aide ménagère pour les personnes âgées, les Centres pour les enfants, les refuges pour les victimes de violence domestique. Nous sommes réunis non seulement pour nous opposer à ces coupes budgétaires, mais pour appeler à reconstruire notre économie sur la base de la justice sociale, au lieu de cette marée destructrice.

Parce que le gouvernement de coalition s’est transformé en gouvernement de démolition. Aucune partie de notre service public n’est protégée. Et ne les croyez pas quand ils disent que le service de santé restera sauf. Avec la suppression de près de 50 000 emplois déjà en perspective- infirmières, docteurs, kinés, sage-femmes- au nom de la pseudo-efficacité et de l’économie de 20 milliards de livres, le service de santé est déjà en soin intensif. Et avec David Cameron qui parle de le vendre à « n’importe quel pourvoyeur disposé » à faire un bénéfice, le système de santé fait face à la menace la plus grave de son histoire. Aujourd’hui, disons le lui- Nous ne te laisserons pas détruire ce que des générations ont construit. Le service de santé signifie quelque chose de différent – le soin, la compassion, la solidarité sociale- et nous promettons aujourd’hui de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour combattre et le défendre. Que cela soit clair- le système de santé n’est pas à vendre.

Et tandis que le gouvernement planifie cette destruction à une échelle si massive, à la City, ils dépensent 7 millions en bonus- soutien au business comme d’habitude. Et vous savez que les ministres ont l’aplomb de nous dire que nous sommes tous ensemble dans ceci. Avec ce mensonge cynique, ils nous prennent pour des imbéciles- mais on ne trompera pas les britanniques. Soyons brutalement clair à propos de ces coupes. Ils vont couter des emplois à une échelle énorme- s’ajoutant à la misère des deux millions et demi de personnes déjà au chômage. Ils vont frapper les services cruciaux qui lient nos communautés ensemble. Et c’est le plus pauvre et le plus vulnérable qu’ils vont frapper le plus fort. Et quiconque vous dit le contraire est un menteur effronté. Le gouvernement clame qu’il n’y a pas d’alternatives. Mais il y en a. Gardons les gens au travail et faisons croitre l’économie. Taxons les revenus fiscaux et attaquons nous à la fraude fiscale. Faisons un impôt Robin des Bois sur les banques, qu’elles payent le désordre qu’elles ont causé. Alors qu’aujourd’hui notre message soit fort et clair. C’est maintenant le temps du changement. Ce n’est que le début de notre campagne – et nous combattrons les coupes brutales du gouvernement dans notre lieu de travail et dans nos villes. Aujourd’hui nous parlons pour le peuple de Grande-Bretagne. David Cameron, si tu veux rencontrer la Grande Société, nous sommes ici à Hyde Park. Il est temps que tu commences à écouter. »

Frances O’Grady, la numéro 2 du TUC (je l’ai rencontrée à une conférence TUC à Newcastle cette année en février), de façon caractéristique, a fait un discours impressionnant et formidable. Elle a été suivie par une succession de leaders syndicaux et d’invités. Plus tard, elle s’est adressé au public de la soirée « March for the Alternative Big Night Out » - « … le gouvernement veut nous faire payer le désordre crée par les banquiers, financiers et spéculateurs  ». Mark Serwotka, secretaire général de PCS (Public and Commercial Services union) a aussi fait un discours fort et impressionnant. Mark, redoutable, a dit « Imaginez quelle différence c e serait si nous ne manifestions pas seulement ensemble, mais faisions grève ensemble ». Son discours était sans compromis et sévère, ne faites pas de coupes, taxez juste les riches « profiteurs » comme ils devraient l’être. Il a mentionné en particulier Philip Green (Topshop), ce qui lui a valu une énorme acclamation de la foule.

John Hannett, de USDAW, a délivré un discours moins caustique. « Le déficit doit être attaqué, mais nous avons besoin de politiciens qui ne montrent pas seulement de la compétence, mais aussi de l’empathie ». Leo Gerard de l’alter-ego americain de TUC, l’AFL-CIO, a raillé l’évitement des taxes des millionnaires « la meilleure manière de voler une banque est d’en gérer une ». Des féministes ont dit combien ces coupe toucheraient les femmes, particulièrement celles d’origine ethnique différente, généralement pauvrement payées, la « pénalité de la race ». Le secrétaire général d’UNISON, David Prentis a dit que la système de santé n’était « pas à vendre ». Len McCluskey, secretaire général de UNITE, a mentionné ce « troupeau d’écoliers publics cherchant les profits » - en parlant de la coalition du gouvernement. Ed Miliband, le leader du Labour et de l’opposition, a dit : « Les Conservateurs ont dit que je ne viendrais pas et que je ne parlerais pas aujourd’hui. Mais je suis fier d’être avec vous. Il y a une alternative ». Cependant, il a eu un retour plus froid de la foule quand il a dit : « Les coupes sont nécessaires, mais ce gouvernement est allé trop loin, trop rapidement ». Des perturbateurs ont répliqué « ordure », « tu nous chantes toujours la même chanson », « tu as tes chances » et « tu es un putain de millionnaire ».

Tandis que la manifestation principale allait à Hyde Park, d’autres manifestants ont forcé 13 magasins à Oxford Street. D’autres, comprenant des communistes révolutionnaires, des anarchistes et d’autres organisations d’extrême-gauche ont occupé l’hôtel Ritz et ont envoyé des projectiles. Le fameux magasin de Fortnum & Mason à Picadilly a été occupé. D’autres magasins et banques ont été vandalisés et quelques extremistes ont affronté la police. On a rapporté davantage d’escarmouches plus tard à Trafalgar Square. Les manifestants ont allumé un feu à Oxford Circus, ont brisé la vitrine de Topsop, l’ont enduit de peinture à Oxford street. La police a affirmé que quelques manifestants avaient lancé des ampoules remplies d’ammoniac. Les banques furent aussi à la merci de quelques manifestants. La Royal Bank of Scotland a eu des fenêtres brisée et a été attaquée à la peinture. De même pour des branches de Santander et SBC. Comme la manifestation principale passait à Fortnum Mason, il y a eu une acclamation des manifestants.

De soi-disant anarchistes étaient autant enchantés par les marques et les logos des magasins qu’ils envahissaient que n’importe quel consommateur capitaliste. On a pu considérer comme une célebration de la cause anticapitaliste le fait de boire une bouteille de champagne et manger une sélection de chocolats. Non loin de là, les bâtiments et les bureaux de fonds spéculatifs ont largement été laissés tranquilles.

Sam West, un manifestant, avait fait un discours à Hyde Park sur les effets devastateurs à venir des coupes sur l’art. A Oxford street, il a joué un extrait de The Voysey Inheritance de Harley Granville Barker avec son père l’acteur Timothy West. Sam a parlé des effets sociaux du théâtre : « Le théâtre n’est pas seulement pour les riches et les subventions maintiennent les tickets à bon marché. A côté du retour financier que le pays obtient pour l’argent investi, les arts sont ce qui nous rend civilisés. S’asseoir aux côtés du peuple dans un théâtre qui peut être riche ou pauvre est une grande institution démocratique ».

Pendant les manifestations, plus de 200 personnes ont été arrêtées pour trouble. Plus de 60 ont été blessées. Dans l’ensemble, la manifestation du samedi 26 mars a été très largement pacifique. D’autres marches et protestations seront probablement planifiées à propos des réformes du système de santé.

N’Autre Ecole : Que penses-tu des syndicats britanniques ?

SG : Dans ce pays, ces dernières années, les syndicats ont connu une lente renaissance en terme d’influence, en faveur des droits des travailleurs sur le lieu de travail et dans la société.

Les grands syndicats étaient à leur zenith en 1979, avant que Margaret Thatcher, premier ministre conservatrice, ne se donne pour mission de détruire et d’affaiblir le mouvement syndical. Elle s’était rendu compte que le précédent Premier Ministre conservateur, Edward Health, avait dû lutter pour affirmer son pouvoir, avec des syndicats responsables de grèves et de semaines de travail plus courtes. Elle a aussi attaqué le parti travailliste, qui est très proche des syndicats. « Laissons le cauchemar orwellien de la gauche travailliste être un encouragement à consacrer avec une nouvelle urgence notre énergie et notre force morale à reconstruire les fortunes d’une nation libre » avait-elle dit.

En fait, ce n’est que quand le parti travailliste a été réélu en 1997 que les syndicats ont commencé à réapparaitre et semblé regagner un certain niveau de respectabilité.

Cependant, au cours des années, les principaux syndicats ont semblé faire des accords faciles avec les employeurs, sans réellement consulter leurs membres. Cela a rendu les travailleurs très sceptiques à leur égard, ils se demandent si les syndicats les représentent vraiment. Les gros syndicats, UNISON, un syndicat de service public qui syndique des infirmières et d’autres travailleurs de la santé, UNITE, qui représente le transport, l’aviation et les travailleurs en général, GMB, aussi pour les travailleurs en général, PCS, syndicat du service public, RMT, pour les conducteurs de train et les cheminots, NUT, pour les enseignants, NUS, qui représente les étudiants dans les collèges et les universités, UCU, pour les enseignants du supérieur, etc., tous ont prouvé qu’ils étaient capables de se mettre d’accord avec les employeurs au détriment des travailleurs qui leur payent des cotisations. Les réactions récentes contre ces syndicats débutèrent avec les protestations étudiantes en Novembre 2010.

Les étudiants ont accusé les leaders du NUS et de l’UCU d’être veules et faibles, parce qu’ils condamnaient leurs actions plus directes, notamment lorsqu’il y avait de la violence.

Pour les cas individuels, les syndicats semblent distants et inutiles. Certains syndiqués disent « Je ne sais pas pourquoi je suis membre d’un syndicat », « Qu’est-ce qu’ils font pour toi ? » et « Ils ne vous disent jamais rien et ne vous envoient même pas un bout de papier sur ce qui se passe ». En cas de conflit au travail, on entend « J’ai été en contact avec le syndicat tous les jours mais je n’ai pu en obtenir davantage ».

J’ai récemment représenté une collègue au travail, il semblait y avoir une rupture de contrat. J’ai contacté le syndicat en tant que délégué syndical (UNISON) et expliqué la situation à la responsable appropriée. Elle m’a dit qu’elle contacterait la personne concernée dès que possible. Cependant, il n’y eut pas de réponse avant plus d’une semaine. Il ne s’agissait que d’un e-mail. A une réunion suivante, qui était prévu depuis quelque temps, j’ai demandé à la responsable si elle avait été en contact direct avec la syndiquée. Elle a répondu qu’elle avait envoyé ce mail, je lui ai rétorqué que ce genre de question nécessitait une réaction rapide puisqu’ils avait mis fin à son contrat assez tôt. La syndiquée a finalement trouvé un autre travail mais la question de la rupture de contrat et de sa qualification en licenciement économique n’est toujours pas résolue.

Il apparaît donc que les gros syndicats ne traitent pas les individus comme des priorités. L’individu disparaît dans l’insignifiance et la hiérarchie de ces syndicats, largement insouciants de la frustration de leurs membres.

On pourrait donc arguer que ces grands syndicats sont très bureaucratiques et peu démocratiques. Les syndicats doivent être moins bureaucratiques et plus en phase avec la souffrance sociale. Les protestations étudiantes conduisent à un mouvement qui met en avant les frustrations de la classe des travailleurs et force les syndicats à se regarder dans un miroir et à voir la possibilité de ce qui peut être fait en faveur des masses opprimées.

Il est prévisible que si les syndicats ne contribuent pas avec d’autres à l’organisation d’une meilleure société, ils conduiront le droit capitaliste à collecter les richesses publiques du peuple et des travailleurs, qui créent de toute manière la richesse, sans donner une juste distribution de celle-ci pour tous.

Il n’y a pas de doute dans mon esprit que les syndicats dans ce pays peuvent et doivent avoir une approche commune avec d’autres organisations qui ont des objectifs semblables. A long terme, il pourrait être nécessaire pour les principaux syndicats de s’adapter et de traiter avec davantage de groupes radicaux et militants, incluant des secteurs marginalisés de la gauche et des groupes socialistes plus à l’extrême, comme les communistes, les anarchistes, etc.

Les syndicats britanniques ont largement été réduits à s’occuper de leurs affaires internes et de leurs protocoles, sans consulter la volonté de la vaste majorité de ses membres.

En vue vu de tout ce qui a été dit, les syndicats, s’ils sont correctement motivés, peuvent offrir des changements réels pour la vie des gens. Ils pourraient être plus en phase avec la classe des travailleurs que n’importe quel gouvernement et guider les travailleurs loin du monde capitaliste factice dans lequel nous vivons.

Le mouvement syndical britannique devrait aider à ranimer le projet d’une nouvelle société juste et pacifique, sans guerre, qui peut toujours naitre des cendres de l’ancienne.

N’Autre Ecole : Pour finir, peux-tu nous présenter le syndicat des travailleurs de l’éducation des IWW ? Y-a-t-il des endroits où les « wobblies » peuvent avoir une influence dans les luttes actuelles ?

Les Industrial Workers of the World sont à la base un mouvement anarcho-syndicaliste et le syndicat industriel des travailleurs de l’éducation réuinit tous les travailleurs de ce secteur. Enseignants, conférenciers, formateurs, assistants, infirmières, travailleurs administratifs, tuteurs, hommes et femmes de ménage, bibliothècaires, personnels de cuisine, techniciens, etc... Si tu travailles dans le secteur de l’éducation, tu es, quel que soit ton emploi, un travailleur de l’éducation. Beaucoup de syndicats ont des sections dans l’éducation et ils opèrent de façon séparée et sectorielle, et bien trop souvent les uns contre les autres. S’ajoute à cela l’idée d’un « professionalisme » qui voit faussement les enseignants et conférenciers comme une sorte d’élite de la classe moyenne séparée des travailleurs non-enseignants.

Le résultat est qu’il n’est pas rare de voir des travailleurs d’un syndicat en grève un jour et d’autres qui, conseillés par leurs propres syndicats, ne respectent pas le piquet de grève car la leur est prévue un autre jour. Cette sorte d’ « organisation » arrange la direction mais pas les travailleurs. Il n’y a pas de membre de la direction dans nos rangs.

Le secteur de l’éducation est l’un des plus syndiqués en Grande-Bretagne. Beaucoup de travailleurs de l’éducation des IWW opèrent comme un réseau de militants sur le lieu de travail, dans le cadre des principaux syndicats de l’éducation. En conséquence, les IWW education accueillent des travailleurs de l’éducation qui sont déjà dans un autre syndicat (je suis délégué syndical à UNISON pour l’équipe de support dans une école). Nos membres sont engagés à la fois dans un travail indépendant d’organisation des IWW et dans un travail dans les principaux syndicats, pour le pousser vers une plate-forme radicale et démocratique.

Nous restons petits mais nous grossissons en membres et en confiance. Actuellement, le syndicat industriel des travailleurs de l’éducation est la plus grande section des IWW en Grande-Bretagne. Nous organisons des campagnes par branche à travers le pays et notre nombre augmente. Nos membres sont occupés à syndiquer sur leur lieu de travail, à représenter d’autres membres dans des auditions disciplinaires, à soutenir des luttes et à participer à des campagnes de base. Récemment, des membres des IWW de Glasgow et de Dumfriesshire ont mené une campagne réussie contre la fermeture d’un campus de l’université de Glasgow qui a uni des travailleurs, des étudiants et des membres de la communauté locale, en récupérant de fait près d’un million et demi de livres du parlement écossais.

Dans les luttes actuelles, les IWW Education ont été actifs en soutenant et en aidant les étudiants et le personnel des universités et des collèges dans les occupations. L’occupation de l’université de Glasgow a été particulièrement réussie, contre les augmentations de frais d’inscription et contre toutes les attaques dans l’éducation. Beaucoup de membres des IWW ont participé aux actions, fait face aux attaques de la police et à l’hystérie des médias et sont fiers de participer au développement de ce mouvement de protestation.
Les IWW ont depuis longtemps promu l’Action Directe et il est clair que l’action directe de masse qui est apparue dans tout le pays, avec des occupations, des blocages et des grèves surprises perturbe le système tandis que des leaders autoproclamés comme Aaron Porter (NUS) et Sally Hunt (UCU) les condamne et décourage les gens qu’ils affirment représenter. Si le mouvement doit véritablement devenir une force de transformation, nous ne devons pas regarder les « leaders »qui arrangeront toujours leurs arrières, mais le pouvoir et l’intelligence collectives de la démocratie directe et de la responsabilité. Cela se voit déjà dans les occupations et cela peut continuer. En créant des structures et des relations sociales qui transcendent le système scolaire et les directions des syndicats, nous construisons un nouveau système d’éducation dans la peau de l’ancien.

Des décennies de connivence entre les patrons et les dirigeants ont demantelé les ressources matérielles et les valeurs fondamentales du système éducatif et l’ont mis à genoux. Conservateurs et nouveaux travaillistes, principal et bureaucrates : autant de produits de notre société, comme les travailleurs opprimés et les étudiants qu’ils président. Le but ultime des IWW est de supprimer la dominance d’une minuscule minorité sur nos vies et de travailler collectivement et de manière coopérative à construire un monde meilleur. Le mouvement qui émerge dans l’éducation ouvre la voie pour des luttes plus larges et montre comment créer une réelle alternative aux plans du gouvernement.

Le syndicat industriel des travailleurs de l’éducation est partie prenante de la vague de protestation étudiante apparue dans le pays depuis Novembre 2010. Il y a eu des travailleurs du syndicat à l’occupation de Fortnum & Mason et dans d’autres lieux lors de la manifestation du 26 Mars. Où il y a le plus de manifestations radicales, les IWW sont là pour donner leur soutien maximal. Nous soutenons ceux qui protestent et se battent contre l’érosion et la privatisation de l’éducation et ceux qui travaillent dans l’éducation et s’efforcent de se libérer des dictats du gouvernement et de leurs directions.

Pour les IWW Education Workers, Simon Galliers

Propos recueillis par Fabien Delmotte, CNT Éducation