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Centenaire de l’École émancipée
lundi 25 octobre 2010, par
1910 L’École émancipée
2010 Cent ans de syndicalisme révolutionnaire dans l’éducation
Par Gaetan Le Porho
Un syndicalisme qui articule consciemment ses actions quotidiennes en faveur du mieux être des travailleurs
et ses visées révolutionnaires, qui élabore en son sein un modèle de contre-société coopérative porteuse
du monde de demain, qui refuse d’être inféodé à un parti politique extérieur à son auto-organisation,
tel est le syndicalisme révolutionnaire. Il a été décrit par la Charte d’Amiens en 1906, à l’époque où la CGT faisait trembler la bourgeoisie et était le pôle d’attraction pour tous ceux qui souhaitaient un changement radical de société.
Les premiers-ières institutrices et instituteurs syndicalistes étaient de ceux-celles-là. Après quelques tentatives avortées, ils-elles vont s’organiser au début du xx e siècle en s’occupant des questions revendicatives et sociales (ou, comme il est dit aujourd’hui, « sociétales »), mais aussi et surtout de pédagogie. Ils-elles ont en effet considéré que leur rôle est avant tout de se lier à la classe ouvrière pour créer une école qui soit à la mesure de son émancipation. C’est pourquoi ils-elles vont fonder en 1910 une revue pédagogique : L’École émancipée. Elle sera pendant un quart de siècle l’organe d’une fédération syndicale révolutionnaire de l’enseignement. Des recherches en sciences de l’éducation y sont développées. Des cours mutualisés sont proposés sous forme de cahiers détachables aux adhérents. Elle forme les enseignants pour les luttes en les informant des questions sociales, politiques, corporatives et même en les distrayant par une rubrique littéraire engagée. Les foudres de la répression et de la censure lui sont tombées dessus parce qu’elle a continué d’exister malgré l’interdiction du syndicalisme dans la fonction publique (il n’est autorisé qu’au début des années 1920), qu’elle est restée internationaliste et pacifiste pendant la Première Guerre mondiale, qu’elle s’est s’investie dans la bataille sociale à côté des ouvriers et des paysans et qu’elle a maintenu envers et contre tout son cap laïque.
L’École émancipée revue de la Fédération unitaire de l’enseignement
Elle propage d’abord des idées syndicalistes révolutionnaires puis est enthousiasmée par la révolution russe. C’est alors qu’elle se tourne quelque temps vers le communisme. Elle rompt avec lui, en tout cas avec sa forme stalinienne, à la fin des années 1920 quand le PCF prend un tournant ultra sectaire dit « classe contre classe », ou de la troisième voie (avec ses brutales campagnes de diffamation contre les « sociaux traîtres », les « anarchos-réformistes » etc.).
De 1922 à 1935, elle est l’organe de la Fédération de l’enseignement de la CGT-U (scission de la CGT). Elle anime une opposition antistalinienne dans cette confédération à partir de 1929. Les débats internes n’empêchent pas le développement d’œuvres positives notamment en matière de pédagogie – comme la mise en place d’une revue pour les enfants en 1923 : Les Éditions de la Jeunesse qui deviennent en 1933 Les Lectures de la Jeunesse. Le mouvement Freinet en est issu, même s’il finira par prendre ses distances.
Naissance et enfance d’une tendance syndicale
L’unification syndicale de 1935 entre la GGT réformiste et la CGT-U révolutionnaire la transforme en organe d’une tendance syndicale qui prend le nom de la revue. La présence d’idées révolutionnaires non staliniennes dans cette organisation est ainsi maintenue. Elle est interdite pendant la Seconde Guerre mondiale et compte en son sein des résistants, même si elle n’a pas en tant que groupe intégré la résistance. C’est après le conflit qu’elle se reconstitue en refusant le statut quo et l’abandon des bagarres revendicatives, politique prôné par un PCF qui participe au gouvernement.
Contribution à la naissance et à la vie de la FEN
En 1948, elle est à l’origine, avec des militants réformistes, de la motion Bonnissel-Valière (ce dernier est un militant historique de la tendance) qui acte la création de la Fédération de l’Éducation nationale (FEN). Cette organisation aura pendant presque cinquante ans un quasi-monopole de syndicalisation dans l’Éducation nationale. L’idée est de refuser de choisir entre la CGT et FO quand elles se séparent. C’est de maintenir l’unité dans le champ de l’enseignement et de combattre la division syndicale. Le droit de tendance y est reconnu. La FEN constitue un syndicalisme de masse à base multiple. Elle s’attache divers organismes : mutuelle, assurances, éditions, mouvements pédagogiques, etc. Elle est majoritairement d’orientation social-démocrate mais comprend aussi une minorité « communiste » et L’École émancipée qui inclut toutes les composantes de l’extrême gauche : syndicalistes révolutionnaires, mais aussi anarchistes, trotskistes etc. Les sensibilités y sont diverses et variées. L’École émancipée défend des motions d’opposition aux congrès, anime des grèves dures et défend un syndicalisme combatif. La tendance continue à considérer qu’il est essentiel de développer la pédagogie active, voire autogestionnaire ou libertaire, et continue ses travaux de recherche et de propagande en cette direction. Elle met l’accent sur le féminisme, l’antimilitarisme, l’anticolonialisme, l’anticléricalisme, l’écologie.
Elle prend parti contre la guerre d’Algérie, en mai 1968 aux côtés des étudiants, au Larzac contre le camp militaire, etc. Elle contribue au combat de la FEN pour la laïcité, notamment contre la loi Debré qui a organisé le financement public des écoles privées. Elle tend à augmenter sa popularité à l’occasion des mouvements sociaux d’importance.
Elle développe ses propres outils : outre la revue du même nom, une semaine de débats, formation syndicale, animation culturelle engagée dite « la Semaine de L’École émancipée » qui a lieu pendant les grandes vacances mais aussi ses stages de formation, tracts, bulletins départementaux ou spécifiques sur un thème (comme Le Chrono Enchaîné qui critique le sport), etc.
Scissions syndicales
Elle n’est pas exempte de confrontations voire de scissions. Les trotskistes dits « lambertistes » (du nom de leur dirigeant Lambert) font sécession pour fonder « L’École émancipée pour le Front Unique Ouvrier (EE/FUO) » en 1969. Ils et elles contribuent pour beaucoup à monter une petite fédération FO dans l’éducation en 1984.
Le schisme a lieu en 1992 entre ce qui deviendra le SE/UNSA et ce qui va devenir la FSU. La grande majorité de la tendance choisit la FSU. Mais quand des syndicats SUD-Éducation se forment à partir 1996 certain-e-s y voient l’occasion de pratiquer enfin la forme de syndicalisme défendue en tant qu’opposition syndicale : syndicalisme d’industrie – où le noyau de l’organisation est le syndicat départemental intercatégoriel de tous les personnels de l’éducation –, combativité, démocratie tant en interne que dans les luttes.
En 1997, naît la Fédération des travailleurs-euses de l’Éducation CNT qui se réclame du syndicalisme révolutionnaire et de l’anarcho-syndicalisme. En automne 2002, paraît pour la première fois sa revue N’Autre école, que vous avez entre les mains. Elle est, comme L’École émancipée, pendant le premier quart de son histoire, la revue d’une fédération de l’enseignement clairement révolutionnaire et, comme elle, mêle pédagogie alternative et visée de rupture sociale.
Les naissances de ces nouveaux syndicats qui prennent beaucoup des idées traditionnelles et des militants de l’École émancipée rend la tendance de fait intersyndicale. Le choix de certain-e-s adhérent-e-s de la LCR d’intégrer en tant qu’École émancipée l’exécutif de la FSU va produire une importante division. Elle se produit en 2002 entre, d’un côté, les tenant-e-s d’une tendance exclusivement FSU qui veulent à ce titre participer à sa direction et, de l’autre, L’École émancipée qui assume son caractère intersyndical et qui veut rester dissidente en refusant de participer aux instances décisionnaires de la FSU (tant évidemment que la majorité n’est pas acquise à ses idées). La première est influencée par certain-e-s dirigeant-e-s enseignant-e-s de la Ligue communiste révolutionnaire, alors que l’autre se réfère plus au syndicalisme révolutionnaire, avec ce que cela peut impliquer d’écoute, d’ouverture et de tolérance vis-à-vis des choix syndicaux et/ou politiques de chacun-e. Dans la FSU, cette dernière souhaite rester une opposition construite et refuse que L’École émancipée intègre la direction de ce qui est devenue la principale fédération syndicale enseignante.
Un procès, jugé devant les tribunaux bourgeois en 2003, a donné l’appellation l’École émancipée à la tendance qui se dénomme aujourd’hui « École émancipée/Fédération Syndicale Unitaire » (« EE/FSU ») », et qui garde une revue intitulée L’École émancipée. Les syndicalistes révolutionnaires sont contraints de changer de nom. Ils s’appellent « L’Émancipation intersyndicale ». Leur revue se nomme L’Émancipation syndicale et pédagogique. Leur choix s’est fait en fonction du nom des premiers regroupements revendicatifs et antihiérarchiques des institutrices et instituteurs, d’où ont émergés les syndicats de cette branche au début du siècle. C’était aussi le titre du bulletin de l’organisation syndicale révolutionnaire jusqu’en 1935.
Joyeux anniversaire
Les arrières petits-enfants de L’École émancipée sont nombreux, divers et variés – la CNT, avec sa revue N’Autre école, L’École émancipée et son organe du même nom, les Comités Syndicalistes Révolutionnaires (CSR) Éducation, des syndicats et syndiqués de Sud Éducation, etc. – c’est bien L’Émancipation qui s’en revendique le plus et qui a organisé cette année son anniversaire sur le thème de « 100 ans de syndicalisme révolutionnaire dans l’éducation, histoires, actualités, et perspectives » (voir encadré). En se remémorant les idées et pratiques syndicalistes révolutionnaires, parions qu’elles en soient revigorées, revivifiées et donnent lieu à de nouvelles analyses et militances. Se souvenir pour créer… ■