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Colombie : l’école à libérer. Entretien avec Fernando Vargas Navia, secrétaire de ASOINCA

dimanche 21 mars 2010, par Greg

À l’occasion de leur séjour en Colombie, deux membres du secrétariat international de la CNT ont rencontré Fernando Vargas Navia, secrétaire de ASOINCA. Dans l’entretien qui suit il présente l’action de ce syndicat enseignant colombien.

Quelle est l’histoire de ASOINCA ?

ASOINCA signifie « Association des Instituteurs (et professeurs) du Cauca ». Le syndicat fut crée en juillet 1939. En 1949, il impulsa et fonda la Fédération colombienne des éducateurs afin de coordonner les différents syndicats de ce secteur au niveau national. Jusque dans les années 1970, la direction syndicale de ASOINCA était inféodée aux partis politiques traditionnels (conservateurs et libéraux) et subissait l’influence de l’Église catholique. La situation a radicalement changé par la suite. En 1996, un groupe de militants, non liés aux partis politiques traditionnels ou de « gauche », sont arrivés aux postes de coordination du syndicat. Le syndicat comptait alors 4 100 affiliés. Aujourd’hui, nous comptons près de 10 000 adhérents. Ce développement rend compte de la nouvelle stratégie syndicale de ASOINCA plus radicale et surtout plus impliquée dans la lutte de classe.

Comment se différencie ASOINCA dans le paysage syndical colombien ?

Les syndicats en Colombie, de la CUT (Centrale unitaire des travailleurs) à la CGT (Centrale générale des travailleurs) en passant par la CTC (Centrale des travailleurs colombiens), sont sous contrôle de la social-démocratie et des partis politiques. Ce lien suppose que leur activité syndicale est dépendante des impératifs électoraux. Cette tendance a permis à la bourgeoisie réactionnaire ou social-démocrate de met­tre en veilleuse la combativité et les revendications syndicales. Elle a surtout comme conséquence de faire accepter à ces « syndicats » des compromissions remettant en cause des acquis sociaux gagnés dans le passé.
ASOINCA, depuis dix ans et la nouvelle génération militante à sa tête, rompt avec ce modèle de syndicalisme de collaboration de classe. Nous avons réactivé l’idée de grève et de lutte syndicale dans ce contexte amorphe. Nous avons été à l’initiative d’une dizaine de grèves. Nous luttons contre les déviances électoralistes du syndicalisme traditionnel. C’est selon ces principes forts que nous revenons aux sources du syndicalisme : soit un instrument au service des travailleurs, un instrument de défense de leurs intérêts de classe.

Quelles activités et projets développe ASOINCA comme syndicat ?

Depuis 1996, nous avons tâché d’avancer dans différentes directions afin de rendre concrète et utile notre action syndicale. Au plan de la communication interne et externe, nous réalisons, depuis nos locaux, un programme télévisuel dans lequel nous abordons tous les problèmes sociaux du Cauca (environnement, luttes sociales, indigènes et paysannes). Nous achetons ensuite à la télé régionale un espace pour diffuser nos programmes. Nous publions aussi un trimestriel, L’Éducateur du Cauca.
Avec les cotisations des adhérents, nous avons construit une salle de meeting de 1 700 places, qui permet de dynamiser nos activités syndicales et culturelles (concerts, théâtre, cinéma). En août, nous avons fourni à tous les coordinateurs syndicaux locaux un ordinateur, fax et une... moto afin de faciliter leurs déplacements d’une zone à l’autre.
Nous avons créé une coopérative ouvrière Provitec qui a construit des logements sociaux pour plusieurs centaines de familles, dont le père ou la mère est membre du syndicat. Pour le moment, nous sommes en train d’en construire 24 autres. Dans le cadre de Provitec, ASOINCA dispose d’un centre récréatif de 34 hectares avec logements, piscine, salles de concerts et de débats où les familles du syndicat peuvent venir chaque week-end ou vacances.
Par rapport au problème de l’alimentation de mauvaise qualité que le capitalisme nous impose, en partenariat avec des collectifs de paysans, nous opposons la « résistance alimentaire ». Nous achetons les produits agricoles à 20 familles de paysans puis nous les redistribuons aux membres du syndicat. Au centre récréatif, enfin, nous avons créé une huerta collective où nous cultivons fruits et légumes. Des cotisations mensuelles des adhérents, 50% vont à une caisse de solidarité. Dans un pays comme le nôtre, où n’existe pas la sécurité sociale, cela permet d’aider nos militants en cas de maladie grave, hospitalisation ou décès d’un membre de leur famille.

Quelles sont les dernières grandes expériences de luttes menées par ASOINCA ?

Au niveau du secteur éducatif, nous avons soutenu activement les étudiants en grève durant plusieurs mois à Popayan (capitale du Cauca). Leur lutte fut exemplaire contre la répression et la privatisation. D’un point de vue politique, à l’école, nous défendons ­l’idée d’une école publique et populaire. Nous nous battons pour imposer la gratuité, le droit à l’éducation étant pour nous un droit élémentaire. Une autre revendication a trait à la remise en cause des contenus pédagogiques imposés par la bourgeoisie pour formater les esprits aux valeurs du capitalisme. Au plan interprofessionnel, malgré les différences idéologiques nous tâchons de construire, quand cela est possible, la plus grande unité d’action. Notre plus importante expérience fut en 1999, la création d’un front syndical, à notre initiative, de 16 organisations syndicales, qui paralysa les transports du Cauca pendant 26 jours.

Qu’attend ASOINCA au niveau international ?

Avec nos organisations soeurs, nous espérons créer des liens suffisament forts afin de combattre la mondialisation capitaliste et l’impérialisme. ASOINCA rejette la solidarité internationale telle que la conçoivent les syndicats socio-démocrates colombiens. Soit le fait de demander et recevoir de l’argent de la part de leurs partenaires syndicaux européens. Pour nous, il s’agit-là d’un véritable cancer : nombre de dirigeants syndicalistes colombiens ont été corrompu par cette conception des relations internationales. Pour nous, les contacts internationaux ne doivent qu’être des échanges de lutte afin de construire ensemble des résistances.

Propos recueillis par le secrétariat international de la CNT