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Conseil pédagogique

jeudi 19 mai 2011, par Greg

Entretien avec Jérôme Ceccaldi, enseignant de philosophie à Annecy,
CNT 74, ICEM 74

Le conseil pédagogique, c’est sans nous : boycott !

Le cloisonnement disciplinaire, voulu par l’institution, et qui affecte autant nos métiers que la journée de nos élèves, est une catastrophe sur le plan pédagogique. Élèves comme profs, c’est chacun dans sa case, chacun dans son segment. Pour les enseignants, l’interdisciplinarité va rarement plus loin que les propos échangés à la machine à café. Pour l’élève c’est l’hypersegmentation de la journée… et du cerveau. Comment un jeune peut-il s’épanouir et comprendre le sens de ce qu’il fait, lorsque sa journée est saucissonnée en heures de cours qui se succèdent sans lien. Comment sérieusement se concentrer en français lorsqu’on a un contrôle de maths juste après ?
Alors oui, nous avons grand besoin de nous parler, de nous coordonner, d’abattre les cloisons, dans le cadre d’expérimentations pédagogiques que nous pourrions décider ensemble, sans attendre la réforme qui prendrait enfin en compte ce problème. Le conseil pédagogique que nous propose Luc Châtel, parce qu’il est un nouvel échelon dans l’organisation pyramidale du lycée, un nouvel échelon hiérarchique entre le proviseur et l’enseignant, ne propose aucune perspective sérieuse de pouvoir enfin prendre en charge collectivement les questions de pédagogie. C’est plus de hiérarchie, dans un univers déjà très hiérarchisé. Il n’y a rien à en attendre, rien à en espérer, il faut le boycotter.
Nous n’avons rien contre les conseils. L’histoire du mouvement ouvrier montre que les conseils sont un espace d’émancipation et de décision collective, un espace démocratique. Les enseignants qui le composent doivent être élus, révocables et mandatés. C’est le B-A. BA de la démocratie. Nous ne voulons d’un conseil à la botte du chef d’établissement, et qui aura force de contrainte sur nous.
Nous n’avons pas besoin de plus de hiérarchie. Nous avons besoin d’une vraie coordination pédagogique, horizontale et démocratique.

Tract section CNT


Comment le conseil pédagogique a-t-il été « vendu » par l’administration de ton lycée ? Comment a-t-il été instauré ? Qui était convié ?

Jérôme – Il n’a pas été vendu. Je ne suis pas sûr que tous les chefs d’établissements réalisent bien ce qu’impliquent les réformes managériales récentes ; même si, les yeux rivés sur les résultats du bac et « l’image de leur lycée », ils sont mentalement prêts à basculer. Le conseil péda est apparu comme par miracle début 2011, alors qu’il a été activé dans d’autres établissements bien plus tôt. C’est ça le pilotage par le haut : les autorités de tutelle, comme on dit, décident quelque chose, et les étages inférieurs réagissent plus ou moins vite, parce qu’il faut bien, tôt ou tard, obéir. On a l’impression que la seule justification, c’est qu’il faut être conforme aux injonctions, même cinq ans après. Obéir + obéir + obéir. C’est la misère du système hiérarchique. Les volontaires et les coordonnateurs de disciplines étaient conviés. Mais le texte parle bien de désignation par le chef d’établissement.


Suite au tract que la CNT a distribué, l’administration a-t-elle réagi à cet appel au boycott ?

Jérôme – Non pas de réaction, d’autant que le Snes aussi appelait au boycott. En revanche, s’inviter au début du premier conseil péda pour alerter les collègues nous a valu une tentative d’expulsion manu militari. Dès que tu t’agites au-delà des clous de ton panneau syndical, c’est très mal vécu. On est dans un univers très policé où chacun doit rester à sa place, où l’État veille sur nous, et où l’initiative individuelle ou collective est très réduite. Mais on a promis juré qu’on ne le referait plus. L’appel à boycott a été relayé par un texte collectif signé par tous les profs de philo, qui déclaraient qu’ils n’iraient pas au conseil péda.


Comment les collègues ont-ils reçu cet appel ? Y a-t-il eu des réactions, des discussions, des oppositions ?


Jérôme –
Il y a eu différents types de réaction. Certains collègues avaient décidé d’y aller, pour des raisons pas très glorieuses, simplement pour défendre les conditions de travail dans leur discipline (classes dédoublées, défendre telle ou telle option). Ils n’étaient pas, d’ailleurs, toujours très fiers de leur décision. « En Sciences économiques et sociales, on s’est fait baiser l’année dernière, cette année on ne nous aura pas », ai-je même entendu. Le management par la peur marche à fond : il faut aller au conseil péda non pour prendre ensemble de belles initiatives pédagogiques, mais pour défendre ses fesses contre les autres, dans un contexte de pénurie budgétaire. C’est une honte d’appeler ce machin « pédagogique ». D’autres refusent de pratiquer ce qu’ils appellent « la politique de la chaise vide », et y vont pour limiter la casse : « tu vois, on a bien fait d’y aller, le chef voulait supprimer le latin ». Et effectivement, tout système hiérarchique octroie des petites marges de manœuvre pour se rendre supportable à ceux qui le subissent. On retrouve cette logique dans le Conseil d’Administration. Face à la paralysie organisée par les syndicats dominants, face à la toute-puissance de la machine étatique, certains se sont repliés dans les vacuoles aménagées par l’institution. Ce repli peut se comprendre, mais il nous est difficile de nous en contenter. Au final, que ce soit le CA [1], le Conseil péda, ou le CVL [2], on est quand même bien dans une mascarade de démocratie, où c’est le chef qui décide en dernière instance. Nous, nous disons que ce conseil péda est un élément de la révolution managériale en cours, processus de longue durée qui est loin d’être achevé. C’est comme pour la refondation néolibérale de la société, accélérée par la droite au pouvoir depuis 2002. Tout se fait par morceaux, et par étapes : les retraites, les intermittents du spectacle, les chômeurs. On peut lâcher sur une étape, ou sur une autre, mais c’est toujours amoindrir nos chances d’inverser la tendance. Donc à un moment il faut savoir dire « non ». Je ne veux pas être pessimiste, mais je pense que, pour le conseil péda, c’est fichu et que le court termisme l’emportera. La prochaine étape, c’est les entretiens professionnels qui seront mis en place l’année prochaine. Là je pense que la réaction sera plus vive.

Aujourd’hui, où en est le conseil pédagogique dans ton bahut ?

Jérôme – On en est qu’au début. Certaines disciplines comme la philo tiennent bon et n’y vont pas, d’autres y vont. Chez nous, le conseil péda est loin d’avoir produit tous ses effets. On peut s’attendre à une drôle d’ambiance lorsque les collègues du CA devront refuser une ventilation de DHG [3] élaborée par… les collègues du Conseil péda. Ce sera collègues contre collègues, un rêve pour les chefs ! Le risque de hiérarchie intermédiaire est bien réel, puisqu’il faudra se soumettre aux décisions de collègues choisis par le chef, et qui n’ont donc aucune légitimité, ni aucun mandat. On peut s’imaginer que ces collègues seront remerciés lors des futurs entretiens professionnels, par une augmentation de leur note. On divise, on clive, et on démultiplie le principe hiérarchique à l’échelon local. On est très loin d’un mode de fonctionnement collégial et démocratique ! ■


[11. Conseil d’administration, composés d’enseignants élus, de parents d’élèves. Il décide de la répartition des heures allouées par le rectorat, mais le chef d’établissement reste souverain.

[22. Le conseil de vie lycéenne. Pour faire croire que la démocratie
existe au lycée. Voir N’autre école, n°26.

[33.Dotation horaire globale. Elle tombe du ciel rectoral, et le CA prend en charge sa ventilation, condamné au calcul du moindre mal.