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Entretien avec Mathis
mardi 16 avril 2013, par
Propos recueilli par Charlotte Artois, CNT-STE 93
Dans Faire et Défaire, un personnage qualifie Thomas de « dernier » et même de « dernier des braves » parce qu’il aime travailler sur les chantiers, que ça l’intéresse. Pourtant, il y aura toujours besoin de travailleurs sur les chantiers, voulais-tu dire que l’intérêt pour ces métiers n’existe plus chez les jeunes ? Qu’aujourd’hui, ils ne comprennent plus le plaisir de se sentir « quelqu’un d’utile » ? Que les transformations dans le travail ouvrier menacent des vocations ? Pourquoi Thomas pense-t-il, lui, plutôt, être « le dernier des cons ».
Mathis – L’histoire de Thomas est inspirée de ma propre expérience, c’est un cas particulier. Dans Faire et défaire je n’essaie pas de faire état des lieux de la jeunesse vis-à-vis du travail manuel. Je me sers de ce que j’ai vécu et de ce que j’observe aujourd’hui pour raconter des histoires.
J’ai grandi dans un milieu ouvrier et lorsque je travaillais avec mon père les samedis et pendant les vacances scolaires, il y a un peu plus de trente ans, c’était marginal, surtout dans la mesure où je n’allais pas en faire mon métier. Déjà, la plupart des artisans se plaignaient de ne pas trouver de jeunes motivés par le travail. Bref, le mauvais rapport des jeunes avec le travail manuel n’est pas nouveau.
Aujourd’hui, je rencontre peu de jeunes qui n’ont pas peur de se salir les mains. Et lorsque je fais des rencontres dans des LEP, la plupart des élèves me disent être là juste parce qu’ils sont en échec scolaire. C’est un peu déprimant.
Sinon, j’ignore si les transformations dans le travail ouvrier menacent des vocations. Je ne connais pas les transformations dont vous parlez. Je ne me sens pas légitime pour parler de ça. Je ne suis plus dans le coup dans ce domaine précis.
Dans Faire et défaire, quand Thomas pense être « le dernier des cons » plutôt que le dernier des braves, c’est juste un trait d’humour, pour lui, et qui ne fait rire que lui. Pas une seconde il ne se trouve con.
Tu m’as dit, je crois, que les écoles te sollicitaient surtout pour intervenir auprès d’élèves faibles lecteurs, comme si des livres centrés sur le travail manuel et le monde ouvrier ne pouvaient concerner que les élèves qui ne se destinent pas à des études longues. Pourtant tes deux personnages principaux, ne semblent pas avoir de problèmes avec l’école (Thomas aime lire et petit dragon se qualifie lui même de « très intelligent »), crois-tu que c’est l’école qui a un problème avec le manuel, le travail physique, le monde ouvrier ?
Mathis – Actuellement, au collège, la seule activité dite manuelle, c’est le cours d’art plastique ! C’est à pisser de rire. On devrait apprendre à scier, poncer, clouer, coudre, peindre tout au long de sa scolarité. Il y a du plaisir à faire quelque chose de ses mains et au bout, un peu de fierté. Je crois que la plupart des jeunes ne soupçonnent pas à quel point on peut faire des choses extraordinaires avec ses mains. Mais c’est un long apprentissage. En parler ne suffit pas, il faut mouiller sa chemise, se salir un peu.
Du point de vue du travail manuel, c’est sûr, l’école est complètement à côté de la plaque, après la maternelle. Dès l’école primaire, on devrait apprendre à cuisiner sans qu’on vous demande si vous voulez devenir cuistot, à apprendre de la mécanique sans qu’on vous demande de devenir mécanicien, etc. Idéalement, des cours le matin et des ateliers l’après-midi. Et puis aussi que des professionnels viennent montrer comment ils font telle ou telle chose. Je crois beaucoup à l’apprentissage par l’observation. Mais l’école dont je vous parle, c’est de la science-fiction.
Ces deux livres sont centrés sur la transmission paternelle d’un savoir faire. Écrire des livres, est-ce pour toi aussi un besoin de transmettre ? Par exemple, dans la nouvelle « le vieux singe », Thomas creuse des fondations, les descriptions de son travail sont longues et précises, et on sent que tu prends du plaisir à décrire ces actes, est-ce ta façon personnelle de transmettre le métier de ton père, des artisans et des manœuvres, aux jeunes qui te liront ? Quelle devrait être le rôle de l’école dans cette transmission ?
Mathis – Je pense que raconter des histoires est un acte de transmission. Peu importe le médium. En littérature jeunesse, peu d’auteurs viennent du monde ouvrier et en parlent. C’est davantage le cas en littérature adulte. En jeunesse on évoque beaucoup les métiers, pas le travail. Il se trouve que j’ai été sur des chantiers avec mon papa quand j’étais jeune, j’ai poussé des brouettes pleines de briques, de mortier et de béton. J’ai aimé me salir les mains, suer comme un bœuf, me sentir fort physiquement, j’aime encore ça. Maintenant, je l’écris. Et c’est effectivement un hommage à mon père et au monde ouvrier dont je viens.
Sinon il me semble que l’école ce n’est que ça : de la transmission. Et pour ce qui est de la transmission du travail manuel, c’est comme je le disais tout à l’heure, l’idéal serait de créer des ateliers. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, et c’est en forgeant qu’on apprend à aimer le métier de forgeron, ce sera toujours valable dans mille ans. Ceci dit, il serait judicieux que les parents eux-même soient curieux et aient envie de faire découvrir des choses à leurs enfants. L’école ne peut pas tout transmettre. ■