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L’égalité : un idéal affiché

vendredi 4 octobre 2013, par Greg

Nicole Lucas, historienne qui travaille
sur la visibilité des femmes dans l’histoire
et leur image transmise dans l’enseignement, pointe les efforts
qui restent à faire pour parvenir
à une « citoyenneté partagée ».

Les femmes ont conquis une réelle reconnaissance sociale, civique, personnelle mais une prise de conscience des « handicaps » sexistes qu’elles subissent encore est nécessaire. En 2011, le laboratoire de l’égalité conclut au maintien au sein de la société de la dissymétrie entre les deux sexes. La relance des actions depuis dix ans se traduit dans l’actualité par des initiatives tant associatives qu’activistes ou politiques. La plus symbolique, quarante ans après la création du MLF est la réapparition d’un ministère des Droits des femmes 1. Dans le monde éducatif, certains considèrent que les féministes sont trop actives et émettent des craintes quant à l’avenir des garçons. Il reste urgent de faire évoluer, en amont, programmes et manuels. Il faut surtout, en aval, transformer les pratiques réelles pour éviter les seules postures déclaratives.

Comment atteindre un meilleur équilibre pédagogique ? Les réponses s’ordonnent autour de finalités combinant le sensible et le rationnel, se construisent dans la durée (itinéraires didactiques 2), pour établir une juste balance entre les deux sexes. Partir des savoirs existants et validés des faits permet d’éviter toute polémique, de nourrir les débats, sans donner une image agressive et excessive qui, dans certains contextes scolaires, peut s’avérer contre-productive.
Revisiter les questions souvent conjuguées au masculin, c’est intégrer les femmes dans le continuum socio-historique, y révéler leur présence régulière pour casser les stéréotypes sans angélisme à leur égard. Il faut les inscrire dans l’histoire humaine : les puissantes abbesses du Moyen Âge, les Temps modernes avec les précieuses, les salonnières et les artisanes (…). Pour servir ce projet, il faut
– mettre en lumière des personnages connus mais aussi des groupes et des femmes plus anonymes (ouvrières) ou moins valorisées jusque-là (artistes, créatrices) mais signifiants ;
– valoriser la complémentarité (…) ; que serait Voltaire sans Émilie du Chatelet, Condorcet sans Sophie de Grouchy, Jules Vallès sans Séverine, exemples forts symboliques 3 ?

Au final, ne pas occulter, entre les femmes historiquement muettes et les plus héroïques, l’existence médiane mais influente des plus actives. L’approche doit être nationale, européenne, mondialisée, consacrée aux femmes occidentales mais ouverte sur celles qui, dans les Suds, agissent en acquérant responsabilités économiques, politiques. Introduire la dimension géographique sans aucun a priori en proposant des chefs d’État emblématiques comme Indira Gandhi, des actrices de moindre notoriété, paysannes du Mali, artiste mauritanienne comme Malouma 4 et développer une dimension comparatiste des situations vécues, subies ou assumées. La géographie souligne leur acquisition de pouvoirs 5 et l’accès à des fonctions plus diversifiées depuis la conférence de Pékin en 1995. Ngazi Okonjo Jweala, première ministre des finances du Nigeria, est, avec Robert Zoellick, directrice générale de la Banque mondiale et pilote, depuis 2010, le dispositif d’aide internationale au développement. Dépassant le quotidien et les traditions, les femmes des pays émergents constituent des forces productives majeures. En 2012, 42 % des femmes de l’Afrique subsaharienne exercent un emploi rural. Malgré les difficultés de tous ordres (60 % des Africains touchés par le Sida en 2011 sont africaines), elles militent sur tous les continents contre toutes servitudes, pour défendre le droit à la terre et à l’eau. Autant de terrains où l’on peut miner les idées préconçues, pour penser une histoire partagée qui renvoie, par les valeurs universelles à l’altérité égalitaire.

□ Nicole Lucas, docteure en histoire.

À lire sur le sujet

 Nicole Lucas, « les esclaves, aussi
des femmes », Cahiers pédagogiques, n°487, fév. 2011.

 Nicole Lucas, « Dire le genre à l’école », p. 89-107, Filles et garçons, questions de genre,
des formations à l’enseignement, dirigée par Ch. Morin-Messabel, PUL, 2013.

 À paraître avec Danielle Ohana, Femmes et éducation : héritages, expériences, identités, L’Harmattan, 2013.

1. Najat Vallaud-Belkacem est aussi porte-parole d’un gouvernement pour la première fois paritaire (jusqu’en juin 2013).

2. Lucas Nicole, Dire l’histoire des femmes à l’école, A. Colin, 2009, p. 112-116. Il s’agit de proscrire l’insertion plaquée qui isole les femmes.

3. Lucas Nicole, Marie Vincent, (dir), Femmes et genre dans l’enseignement, 2009, Manuscrit université, 529 p.

4. Malouma, griotte et artiste mauritanienne engagée dans la défense des femmes, « La diva des sables », Le Monde, 15 Juillet 2009.
5. Empowerment approch : terme introduit par les études des économistes.