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Mon expérience de pédagogie sociale en Uruguay...
samedi 10 novembre 2012, par
N’Autre école – Ton expérience de pédagogie sociale en Uruguay, c’était quoi ?
Andréa – J’ai commencé en 1998, dans une localité nommée Las Piedras, à 40 kilomètres de Montevideo, en faisant la classe le matin et en étant dans un centre social l’après-midi : il faut dire que l’école est à mi-temps.
Il y avait 25 enfants, 6 éducateurs, un travailleur social, un psychologue : nous nous occupions aussi du goûter et du dîner à 18 heures. Ces centres se sont progressivement renforcés, de la sortie de la dictature jusqu’au passage du pays à gauche en 2005.
Les parents ne veulent pas que les enfants traînent dans les rues, quoique certains préfèrent qu’ils mendient plutôt que de venir à l’école et surtout au centre (la escuelita, la « petite école » disaient les enfants) : ça rapporte plus ! En fait, c’est pour répondre à cette préoccupation qu’on a créé ces centres sociaux. C’est un problème auquel nous devions faire face car nombre d’enfants, après une longue journée (école le matin de 8 heures à 12 heures, club d’enfants l’après-midi de 12 h 30 à 18 h 30) se voyaient obligés d’aller faire la mendicité. L’essentiel est que ce type de projet pédagogique ne se détache pas de la politique, je tiens à cette relation entre pédagogie et politique.
N’Autre école – On voit bien à cet exemple ce qu’il y a de social dans le public, et dans la pédagogie ?
Andréa – Oui, tout à fait, même si nous pratiquons l’éducation populaire, pour les parents nous représentons tout de même la continuité de « l’enseignement », c’est-à-dire la transmission des connaissances académiques. Je pense qu’on nous voit un peu comme ça, cette aide à l’accès à la culture, cette carence dont les familles issues de milieux défavorisés sont conscientes parfois.
N’Autre école – Est-ce que vous arriviez à travailler avec la « vraie » école ?
Andréa – Pour moi, qui étais aussi instit, ça passait mieux, mais dans une des écoles avec laquelle nous avions à faire, c’était vraiment difficile. Avec une autre, on pouvait par contre travailler.
N’Autre école – Qu’est-ce qui t’a amené à ce chantier Freinet ?
Andréa – Tout d’abord, je suis en contact avec l’Icem depuis 2005, année où j’ai participé au congrès de Valbonne. À mon retour j’ai mis en place quelques techniques et fais une réunion avec quelques copines enseignantes. Deux ont vraiment été motivées pour approfondir un peu plus mais les livres de Freinet en espagnol sont très difficiles à trouver.
Quand j’ai découvert Freinet, après Freire, j’ai trouvé un lien très fort entre les deux. Freinet m’a donné plus d’éléments et de techniques pour pouvoir mettre en place l’éducation populaire au sein de « l’éducation formelle », c’est-à-dire l’enseignement.
Ce qui m’a séduit au chantier c’est ce lien fort avec l’éducation populaire car je ne savais pas trop au début ce qu’était la pédagogie sociale, pour moi c’est de l’éducation populaire ! J’y participe depuis un an.
N’Autre école – Quel lien fais-tu entre ces expériences et la pédagogie sociale ici ?
Andréa – Il y en a qui se ressemblent mais d’autres pas du tout. En Uruguay, dans un seul projet social, il y a un groupe multidisciplinaire où chacun trouve son rôle et les échangent s’enrichissent… ou pas, ce n’est pas non plus la panacée, mais l’essentiel est l’échange des différentes professions du social. En France, prenons l’exemple des professeurs des écoles, ils/elles travaillent à l’école, ils n’ont pas leur place dans un projet social.
Autre différence, le rapport à la qualification et au bénévolat : je me suis retrouvée dans plusieurs associations, en France, à chercher du travail, mais voilà que quand il s’agit d’être rémunéré il faut un diplôme spécifique, mais pour le soutien scolaire n’importe qui peut être bénévole et ne rien savoir aux techniques de comment enseigner/apprendre à lire et à écrire par exemple. Les éducateurs/trices spécialisé(e)s, moniteurs/trices ou personnes ayant d’autres diplômes se retrouvent souvent à faire du soutien scolaire sans aucune connaissance de la didactique du français ou des maths.
Peut-être que le travail bénévole est plus ancré dans la culture française ? En tout cas, quand je suis revenue en France, j’ai d’abord commencé à chercher dans le milieu associatif, en racontant mon expérience on me faisait des sourires et quand je disais que je prétendais avoir un salaire, le sourire de la personne qui m’écoutait se transformait en « comment ça ? Tu n’es pas prête à faire du bénévolat ? ». Là-bas nous revendiquons d’être payé (il faut dire que les conditions sont différentes, il n’y a pas les aides sociales, pas de chômage au-delà des six mois d’interruption, très peu d’allocations familiales, pas de CMU… ) ; n’empêche : pourquoi faut-il faire du bénévolat quand on travaille avec des enfants, ados, adultes issus de milieux défavorisés ? ■
(Propos recueillis par Jean-Pierre Fournier pour N’Autre école).