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De l’expression personnelle à la réalisation coopérative

samedi 10 novembre 2012, par Greg

Des groupes divers, un volontariat indispensable. C’est un atelier que j’ai mis en place plusieurs fois, tant dans ma classe avec des enfants d’école maternelle qu’avec des adultes enseignants (en formation) ou encore avec des groupes hétérogènes par l’âge et/ou les profils. L’essentiel pour sa bonne marche est que les personnes qui participent soient effectivement volontaires pour le faire.

Je mets à disposition des couleurs acryliques, des brosses, des assiettes en plastique qui serviront de palettes et un très grand tissu de coton clair de préférence rideau, vieux drap, qui occupe tout le plan de travail collectif. L’organisation matérielle dans l’espace n’est pas compliquée, mais elle est importante pour que tout se passe bien…
Dans un premier temps, je demande à chacun de se placer debout autour de la table et d’investir librement l’espace de tissu qui est devant lui. Chaque personne va donc pouvoir choisir ses couleurs, ses outils, ses gestes. En fait, à ce moment si le support peint (le tissu) est bien commun à tous, chacun peint seul(e), en ignorant peu ou prou ce qui se passe autour. Souvent, on constate même une grande concentration et du silence. Il y a donc bien expression personnelle de chacun(e).

Quand la plupart des personnes sont le nez en l’air à regarder ce qui a été fait, à le commenter en chuchotant pour ne pas déranger ceux qui peignent encore, j’indique une deuxième consigne et je demande maintenant aux participants d’investir les espaces restés blancs (et qui forment comme des barrières entre les peintures des uns et des autres), de prendre possession des interstices en partant de leur propre espace peint et en allant à la rencontre de leurs voisins (à gauche, à droite, en face) et de faire en sorte qu’il n’y ait pas de ruptures, pas de frontières et que l’œil glisse insensiblement d’une zone à l’autre, de l’espace peint de l’un à celui de l’autre…

Un nouveau temps de travail s’instaure ; celui-là est plus animé : on change de place, on interroge sur la couleur utilisée, voire on échange les palettes, on se met d’accord sur un geste, une trajectoire, une répétition, une variante.

À nouveau les nez se lèveront, à nouveau des commentaires seront faits, tandis que les plus accrochés mettent la touche ultime, finalisent une portion de tissu, reposant comme à regret la dernière brosse.
Le temps d’échanges verbaux qui suit permet de dire le plaisir ressenti pendant l’action et la fierté devant la réalisation collective dont il faudra décider tous ensemble de son devenir : l’accrocher ? Où ? La poser ? L’utiliser comme décor de théâtre ? Comme nappe ? Comme rideau ?

Objectifs et enjeux (à moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’apprentissages)

Les objectifs et les enjeux sont de deux
or­dres : individuels et collectifs.

Individuellement : l’atelier a permis un chacun d’expérimenter la peinture acrylique sur tissu : il a désacralisé une pratique « experte », l’acrylique sur toile.

Il a été un instant de plaisir et de revalorisation de son image de soi en luttant contre les préjugés du type, j’sais pas faire, j’suis nul en dessin.

En choisissant ses outils, ses couleurs, ses gestes, chacun a produit une image unique, il s’est exprimé plastiquement : il ou elle a pris la parole en utilisant le langage pictural.

Collectivement, il a permis de partager ses plaisirs et ce faisant de créer du lien social avec les autres, quel que soit leur âge, leur profession, leur habileté, leurs connaissances, leur position sociale, etc.
Il a produit une nappe, un rideau, une peinture sur tissu visible par le groupe et peut-être par d’autres : il est porteur d’une parole collective de ses auteurs.

Pourquoi « ça marche » ?

Parce que ça joue sur l’articulation entre le personnel et le coopératif et là, on est au cœur de la pédagogie Freinet qui construit du savoir en bâtissant de la culture commune sur des bases d’expression personnelle. Quand ma réalisation est reconnue, je m’intéresse à celle de mon voisin de classe, puis à mon correspondant, puis à ce que je lis dans J mag ou Créations ou Btj, puis à cette affiche d’exposition sur l’autobus, etc.

En classe, on élabore ainsi une culture de classe puis une culture d’école, et quand on emmène les enfants visiter une expo, ce n’est pas pour faire à la manière de l’artiste, mais pour confronter sa production à la nôtre (et non l’inverse) et se poser face à ses tableaux les questions que nous nous posons lors des présentations rituelles en classe.

Parce que nous avons tous au fond de nous une envie de créer, un besoin même et si chacun(e) avait un terrain de création personnelle, même modeste, la consommation de somnifères et autres pilules qui aident à vivre serait en nette baisse. Je pense qu’on se situe là du côté de l’art-thérapie à titre préventif.

Parce que c’est valorisant et qu’on se fait plaisir, ce qui est notre petit moteur à tous !

Et demain ?

Cette expérience réussie d’expression artistique partagée donnera peut-être envie à certains de recommencer, tous ensemble, en petits groupes ou individuellement, juste pour le plaisir ou avec un objectif précis : peindre une banderole de fête, décorer un lieu pour se l’approprier même provisoirement.

Bien sûr d’autres variantes sont possibles : en partant d’une toute petite image colorée placée au centre, sous la forme roulée de « cadavres exquis », avec des papiers découpés et collés. Une amie potière propose un atelier similaire avec des colombins de terre.
Ce qui importe là n’est pas tant la technique que ce qu’elle a changé en chacun de nous et le nouveau regard que nous posons sur nous-mêmes, sur les autres, sur leurs peintures et les nouvelles envies qu’elle a fait naître et les nouveaux projets qui se mettent en place… ■

Agnès Joyeux,
enseignante,
Icem-Pédagogie Freinet.

Une technique simple et facile à mettre en place. L’acrylique est une peinture à base d’eau, ce qui facilite le nettoyage des outils. Elle sèche rapidement et permet toutes les superpositions imaginables (y compris une couleur claire sur une couleur foncée, ce qui n’est pas possible à la gouache). Attention cependant aux vêtements car elle plastifie en séchant et une tâche sèche sur un tissu ne partira pas. Donc il faut se protéger (en atelier de rue, on peut proposer des tabliers protecteurs ou utiliser des sacs poubelles qu’on perce pour laisser passer la tête et les bras).

Il faut au moins les couleurs primaires (cyan, jaune, magenta), du blanc, du noir et du rouge vif « pompier » qui est très difficile à obtenir par les mélanges. Mais il existe beaucoup de nuances et on peut facilement se faire plaisir avec de nombreuses couleurs déjà faites.
Les brosses viennent d’un magasin de bricolage (et non d’une boutique de beaux-arts où elles sont très chères et de très belle qualité). Il faut les laver tout de suite après l’atelier avec de l’eau et du liquide vaisselle.

Les « palettes » sont indispensables pour les mélanges et fabriquer des couleurs personnalisées. J’utilise des couvercles de seau à fromage blanc que je récupère en grandes quantités. A défaut, on peut utiliser des assiettes jetables en plastique. Il n’est pas utile de laver les palettes. Il suffit de les laisser sécher et elles peuvent servir à nouveau.

Le tissu est le plus souvent un vieux drap blanc. Quand ils se font rares, j’achète en solderie un rideau.