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Entretien avec Virginie Lydie, à propos du témoignage Ma vie de clandestin en France : 17 ans d’errance dans la France d’en-dessous.

mercredi 4 avril 2012, par Greg

Pouvez-vous nous présenter cet ouvrage ?

Il raconte le parcours de Mehdi (dont le nom a été changé pour garder l’anonymat), jeune homme Tunisien qui a connu très tôt l’errance d’abord familiale, puis en Europe. Mehdi arrive en France clandestinement à 14 ans, en tant que harraga, brûleur de frontière. Naïf, voulant bien faire, trahi, il déchante, flirte avec la mort, la drogue, la délinquance... et connaît la prison, les centres de rétention, les squats. Mehdi cache pendant longtemps son identité et sa nationalité, pour éviter d’être renvoyé dans son pays.


Comment avez-vous rencontré Mehdi et comment est venue l’idée d’écrire ce témoignage ?

Je cherchais le témoignage d’un « cas compliqué » pour Paroles clandestines, un documentaire jeunesse chez Syros jeunesse. Mehdi avait accepté de me rencontrer, parce que j’avais été présentée comme journaliste et parce qu’il avait le choix, pour une fois, d’accepter ou non. Après les premières rencontres, qui étaient assez confuses, Mehdi a continué à m’appeler, et à raconter son récit. J’ai continué à prendre des notes. Même si le fait de se livrer n’était pas évident, la parole se libère et une relation assez naturelle s’instaure entre nous.


Justement, quel est votre rôle dans l’écriture de ce livre ?

Déjà, je transcrivais l’histoire de Mehdi, qui écrit de façon phonétique le français. Mais j’essaie aussi de rassembler les éléments de sa vie pour respecter la chronologie. Je m’attachais aussi à la cohérence du récit car son témoignage était souvent très haché, confus. Il me racontait aussi des choses incroyables, que je m’efforçais de vérifier, et le plus incroyable était de me rendre compte que ces choses étaient exactes. J’ai choisi d’écrire à la première personne car au-delà des faits, j’essaie de retranscrire la sensibilité de Mehdi, sa manière de voir les choses.

Et quel est le message à l’intention des lecteurs ?

D’abord c’est un ouvrage réaliste, qui n’édulcore pas les faits. Ici, pas de happy end, et Mehdi n’est ni tout noir ni tout blanc. L’esprit humain est complexe, et le livre ne voulait pas simplifier. Ensuite, Mehdi souhaitait que les jeunes évitent de faire « les mêmes conneries » en offrant son exemple de parcours et en parlant autour de lui de la situation en France. Pour moi, si le témoignage de Mehdi arrive à intéresser des lecteurs, cela peut donner un sens à sa vie.

Avez-vous des nouvelles de Mehdi ? Et des réactions quant à la publication de son livre ?

Mehdi a refait 4 tentatives de harga depuis le 14 janvier 2011... Et la quatrième vient d’aboutir. Il m’a appelée d’Italie, épuisé, heureux, inquiet aussi. C’était prévisible. Il a bien essayé de se réinsérer, mais il était devenu un étranger, pire, un expulsé. Vous savez que 70 % des expulsés veulent repartir ? Ce n’est pas par plaisir. Le poids de la honte, les blessures invisibles de l’enfance, tout cela était trop lourd. Quand il a vu le livre, il était encore en Tunisie. Il était à la fois impressionné et mal à l’aise car dans sa famille, on ne parle pas de ces choses-là. Autour de lui, quand il a annoncé avoir écrit un livre, on lui a dit qu’il allait devenir célèbre et qu’il allait gagner beaucoup d’argent ! Et évidemment, comme la réalité est assez différente, on s’est moqué de lui.

Ma vie de clandestin en France : 17 ans d’errance dans la France d’en-dessous, Mehdi Sayed, Boîte à Pandore, 2011.