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La bataille antiClairicale RÉSISTANCES AU DISPOSITIF CLAIR, L’EXEMPLE MARSEILLAIS

vendredi 20 mai 2011, par Greg

Par Julien Ollivier, Professeur de Lettres-Histoire, CNT éducation 13,
Lycée professionnel La Floride (Marseille)

Qu’est-ce que le dispositif Clair ?
Ce dispositif est le résultat
d’un travail élaboré et finalisé lors des États généraux sur les violences
à l’École organisés l’an dernier.
Le résultat ne répond pas
vraiment au sujet, la violence servant visiblement de prétexte
à la déréglementation du service public d’Éducation.
Finalement 105 établissements servent de laboratoires à Clair depuis la rentrée de septembre
et 10 dans la seule ville
de Marseille, tous faisant partie
des réseaux d’éducation prioritaire.

Le nouveau dispositif se veut celui de l’ambition, de l’innovation et de la réussite (les trois dernières lettres de Clair, les deux premières pour collèges et lycées). Cela peut nous rappeler les RAR, en fait c’est bien pire… Clair permet en effet l’autonomie presque totale des établissements scolaires. Cela peut concerner les projets, les horaires, mais aussi les ressources humaines. Désormais les chefs d’établissement pourront recruter l’ensemble des personnels sur simple entretien d’embauche. Il sera également question d’une « lettre de mission » proposée par l’administration et signée par l’agent recruté. Cette lettre l’engage pour une durée de trois ans renouvelables sous condition d’un autre entretien. Il est donc question d’objectifs à réaliser sous peine de se voir « encouragé à aller voir ailleurs ».

Autre nouveauté : l’apparition d’un nouveau collègue, le préfet des études ! Ce gentil collègue, volontaire et motivé, se verra confier un certain nombre de missions touchant à la fois à l’administratif, au pédagogique et à l’éducatif. Il occupera donc de fait un poste hiérarchique, sorte de mélange flou entre un super-CPE et un contremaître à la botte du chef d’établissement. C’est bien sûr un hasard si le terme vient de l’enseignement privé !

Personne ne sera étonné d’apprendre que ce dispositif verra ses programmes se resserrer autour du socle commun de compétences. Puisque l’établissement jouit désormais d’une complète autonomie, rien n’empêche la direction de chaque bahut de choisir les matières à privilégier, à raboter, voire à les éliminer totalement ! Maintenant que les chefs ont la main sur le recrutement, ils sont capables de tout. L’utilité d’un préfet des études chargé essentiellement des livrets de compétences pourrait s’avérer très efficace…

Alors comment résister ? Le problème essentiel, cette année, est que le dispositif en question touche une très faible minorité d’établissements scolaires puisqu’il s’agit d’une année d’expérimentation. Or l’implantation syndicale de la CNT s’avère intéressante : elle touche quatre établissements sur dix. Très rapidement le syndicat marseillais se rend compte des possibilités locales qui lui sont offertes. Puis, profitant du grand mouvement social des retraites et des tours de bahuts organisés, la CNT s’invite dans les collèges concernés, organise des heures d’info syndicale dans les établissements dans lesquels ses délégués sont présents. On va très rapidement être à l’origine d’un collectif anti-Clair. Ce collectif est créé dès le mois de septembre et il faudra attendre la fin du mois d’octobre pour que les autres syndicats se réunissent en intersyndicale (en oubliant de nous inviter !).

À partir du mois de novembre on assiste donc à l’élaboration de plusieurs organismes de lutte plus ou moins complémentaires : un collectif d’enseignants syndiqués (CNT, Sud, CGT) ou pas, une intersyndicale très large (de la CNT jusqu’au SIAES, syndicat local marqué très à droite), et des résistances très diverses et très différentes au niveau des établissements concernés. Et au milieu de tout ça un Snes complètement largué ! Le mastodonte n’a plus d’appui dans les quartiers nord de la ville et propose une stratégie de sortie du dispositif bahut par bahut par les CA ce qui doit bien faire rigoler le recteur…

La lutte en secret…

La lutte se radicalise au mois de décembre : la grève est votée à l’unanimité au lycée professionnel La Floride rejoint par une partie du personnel de l’autre lycée professionnel concerné par l’expérimentation. La presse est au rendez-vous devant le lycée où un piquet avec brasero est organisé. En janvier, le collège Versailles est à son tour en grève. On assiste à des durcissements des directions de certains établissements : une urne est volée dans un collège qui faisait une consultation sur la sortie de Clair, les chefs d’établissements cherchent à passer par les conseils pédagogiques afin de préparer les projets d’établissements Clair. Le Snes se met tout à coup en branle et s’active en tentant des consultations par bulletins secrets dans les établissements Rar susceptibles de rejoindre l’expérimentation à partir de l’an prochain.

À suivre

Aujourd’hui où en sommes-nous ? Le moment est com­plexe puisque nous sommes au milieu du gué. Le mouvement semble s’essouffler et l’ensemble des acteurs est dans l’attente. L’attente d’une nouvelle circulaire plus précise. L’attente pour les chefs d’établissement qui marchent sur des œufs devant la contestation de leurs personnels. L’attente de l’élargissement du dispositif dès le mois de septembre 2011. L’attente également d’un appel national à la grève qui ne vient toujours pas…

Difficile donc de voir comment se déroulera la suite. Dans l’immédiat, le collectif continue son travail et ouvre de nouvelles pistes :

– le boycott des livrets de compétences et la démission des professeurs principaux amenés à les remplir,

– le refus pour les titulaires de signer les lettres de missions proposées par les directions,

– un appel à des mutations collectives pour montrer que Clair n’encourage pas à stabiliser les équipes pédagogiques,

– une campagne de refus de devenir préfets des études.

Malgré cela, l’arme la plus efficace demeure la grève et la prise en main collective des travailleurs de l’Éducation sur leur outil de travail.
Malheureusement ou heureusement, la lutte continue ! ■

À lire aussi...

Sur le site de la fédération CNT Éducation, un dossier complet sur les établissements Clair avec la reprise accessible en ligne de l’article « Dispositif CLAIR : l’ambition des uns fait-elle la réussite des autres ? »(rubrique Luttes & campagnes).