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Nos outils et l’évaluation

vendredi 20 mai 2011, par Greg

Par Éric JOFFRE avec l’aide du Chantier Outils de l’Icem-Pédagogie Freinet
et plus particulièrement Jean-Claude SAPORITO, Sylvain CONNAC, Madeleine DESHOURS

« ll y a dans l’outil, dans son usage, dans le travail qu’il soutient, l’élément essentiel des apprentissages dont va dépendre
la valeur de l‘éducation. »
Célestin Freinet, Essai de psychologie sensible

Dès ses débuts, la pédagogie Freinet affirme son caractère matérialiste : introduction de l’imprimerie pour les journaux et la correspondance, utilisation de matériels audiovisuels, création d’outils documentaires avec la BT (Bibliothèque de travail), élaboration de fichiers individualisés, de bandes enseignantes programmées, mais l’outil y a une place spécifique parce qu’il ne peut pas être une fin en soi. Un outil issu de la pédagogie Freinet, au-delà de cette liberté d’emploi qu’il permet, se réfléchit et se bâtit autour de certains principes généraux :

– Tâtonnement expérimental : l’outil invite les enfants à l’action, au tâtonnement, à l’expérience et considère que l’erreur et la réussite sont nécessaires pour apprendre.

– Complexité des savoirs : bien qu’associé à un champ de compétences identifiées, il propose un rapport à des savoirs complexes et non à de petites unités d’apprentissages.

– Liberté d’utilisation : Certains fichiers possèdent une programmation mais la plupart répondent à des besoins ponctuels et peuvent s’adresser à différents âges. Ils sont déclencheurs, incitateurs de recherche et permettent l’expression et la création.

– Personnalisation et autonomie : il prend en compte la singularité et le rythme de chaque individu. Il les responsabilise dans ses apprentissages et par leur autocorrection.

– Coopération : il autorise, voire encourage, les enfants à travailler à plusieurs.

– Évaluation formatrice : il s’adapte au niveau réel de l’enfant et favorise les évaluations formatrices, c’est-à-dire qui permettent des résultats d’évaluations, soit basés sur de la réussite, soit donnant des indications sur la nature des erreurs en vue de pouvoir les comprendre et les dépasser.

– L’enseignant et l’outil : il fait du maître une personne-ressource qui aide, entretient, se met au service de l’activité de chacun. C’est un médiateur entre les outils qu’il met à disposition et les besoins de l’enfant.

Des outils très variés

Destinés à intervenir dans telle ou telle phase de l’expérience tâtonnée, les outils ont des caractéristiques diverses. Certains sont déclencheurs : plus ou moins inducteurs, ils sont provocateurs d’hypothèses (fichiers de recherche en maths, fichier sciences et techniques) ; d’autres, apportent des compétences techniques (fichiers de lecture, utilisation du dictionnaire) ; d’autres encore, sont des outils d’entraînement et de remédiation. Ils interviennent dans la nécessaire phase de réinvestissement, de systématisation qui suit toute découverte (fichiers ou cahiers de numération, d’orthographe). Ajoutons les outils d’accompagnement qui apportent une aide à l’enfant dans son travail (répertoires orthographiques, collections documentaires, etc.) ; les outils de communications (de la lettre à la messagerie) ainsi que ceux destinés à gérer la vie de la classe, à faciliter l’articulation des projets personnels et collectifs (les divers plans de travail individuels et/ou collectifs).

Nous sommes convaincus que c’est la situation de recherche qui suscite l’apprentissage. Le rôle de l’enseignant est d’apporter cette situation, d’en permettre le travail de recherche en autonomie et d’entretenir le désir de s’y engager comme le théorise Alain Marchive. [1]

Et l’évaluation dans tout ça ?

Depuis quelques années, l’évaluation semble être devenue primordiale pour notre administration : évaluation nationale des compétences acquises, CE2 et 6e puis actuellement grande section, CE1 et CM2 ; des évaluations devenues un outil déclaré de comparaison des écoles. Or pour nous, il s’agit plus « d’aider les apprenants à devenir maîtres de la construction de leur propre savoir et donc conscients de leur évolution, à partir de leurs représentations implicites [2]. » Certes l’évaluation est un élément important d’une bonne organisation des apprentissages, mais l’élève doit s’y impliquer activement. Celui-ci en tire un maximum de profit quand il peut se repérer, apprendre à s’évaluer. Constater que l’on progresse est un formidable levier de motivation. D’où la nécessité de rendre les critères d’évaluation explicites pour tous les enfants. Chaque fichier est doté d’un plan général avec les types d’exercices et les objectifs à atteindre. Certains sont autocorrectifs avec des fiches-tests régulières, d’autres proposent des activités qui seront réussies ou échouées. Un plan de travail individuel va permettre à l’enfant de noter ses réussites et ses échecs et de pouvoir en parler avec le maître lors du bilan. Ensuite un contrat est passé avec l’adulte quant à la suite du travail à faire et la charge de travail. « Plus la besogne est complète et importante, plus la marche est longue, plus l’enfant éprouve le besoin de se ménager des paliers entre les étapes. Ce sont ces paliers et ces étapes que le contrôle doit définir et mesurer. » [3]

Des bilans individuels

« Les notes et classements sont toujours une erreur. C’est là, manifestement, la plus fausse des mathématiques, la plus inhumaine des statistiques. Nous y pallions :

– en donnant aux enfants le goût et le besoin de travail, en créant une saine émulation par la compétition coopérative et sociale ;

– en mettant au point un système de graphiques et de brevets qui remplaceront un jour prochain l’usage abusif des notes et des classements. » [4]

Évaluer et contrôler les acquis dans un tel système ne peut se borner à une simple correction de l’enseignant comme cela se fait traditionnellement. Là encore, il doit y avoir échange entre l’adulte et l’enfant et il s’agit d’instituer ces moments d’échanges. Il n’est plus question de note attribuée arbitrairement par l’adulte. Pendant le bilan l’enseignant discute avec chaque enfant et ensemble ils déterminent soit une note, soit une appréciation que l’enfant est donc amené à comprendre, à admettre, voire à s’attribuer, même si elle est défavorable.

Des bilans collectifs

Quand des séances de travail individualisé sont gérées en commun par les enfants et l’enseignant, leur succèdent des séances de retour au groupe vécues collectivement car « la communication avec ses pairs produit un effet sur les apprentissages cognitifs. […] Cette découverte des interactions réciproques dans la personnalisation est un des thèmes forts des découvertes de ces dernières années. » [5]
Ainsi dans la classe coopérative, l’évaluation va revêtir trois aspects importants :

– l’évaluation de son travail ou de sa recherche par soi-même ou auto-évaluation ;

– l’évaluation de la présentation et de la qualité par le groupe ;

– l’évaluation de la globalité du travail et l’avancement dans ses compétences par le maître.

De plus, l’évaluation doit respecter les rythmes de chacun et permettre à l’enfant une autonomie dans l’organisation de son travail. Elle doit valoriser sa réussite, elle est facteur de grandissement car il ne s’agit pas d’une évaluation contrôle de l’élève. Ainsi l’enseignant devient un éducateur et l’enfant acteur de ses apprentissages dans un milieu socialisant.

L’outil au service d’un projet

Nous voulons une école qui aide et non une école qui juge ; une école qui aide fait le maximum pour donner aux enfants les moyens de travailler, d’accéder aux savoirs et aux savoir-faire. Savoir évaluer son travail, ses réalisations, leurs conséquences est un savoir-faire demandant une habitude et une grande capacité de réalisme et d’honnêteté.

Le contrat didactique entre l’enfant et le maître mais aussi avec le groupe va permettre d’accepter l’évaluation, la solliciter pour en tirer profit. L’évaluation n’est ainsi jamais une fin mais un moyen d’aider et de progresser. Ainsi l’évaluation est-elle pleinement intégrée à l’éducation à la responsabilité, dont elle est une composante essentielle, c’est-à-dire, pour nous, à l’éducation tout court. ■

Évaluer, s’évaluer ?

En octobre 2008, nos amis de l’Icem-Pédagogie Freinet consacraient un numéro du Nouvel éducateur à la question de l’évaluation en pédagogie Freinet. Cette livraison consacre une large place non seulement aux pratiques et aux expériences concrètes autour d’une autre évaluation, mais replace aussi ces observations dans le cadre plus général d’une réflexion sur l’évaluation. Indispensable.

« Évaluer, s’évaluer en pédagogie Freinet », Le Nouvel éducateur, n° 189, octobre 2008, 76 p., 8 €.
Commandes et abonnements :35 € par an pour 5 numéros,
Secrétariat de l’Icem-Pédagogie Freinet, 10, chemin de la Roche-montigny, 44 000 Nantes.


[11. Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Victor-Segalen – Bordeaux 2.

[22. Encyclopédie de l’évaluation en formation et en éducation, sous la direction de A. De Peretti, ESF Éditeur.

[33. Freinet, C., « La Méthode naturelle », in Les œuvres pédagogiques (2 tomes), 1994, Le Seuil.

[44. Freinet C., « Les invariants pédagogiques », in Les œuvres pédagogiques (2 tomes), 1994, Le Seuil.

[55. F. Best, in Réussir par l’école comment ? Actes du 2 e Salon national des Apprentissages, Nantes 1990. Éditions Icem.