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Rased en lutte

mardi 12 juin 2012, par Greg

Handicaped or not handicaped ? Il apparaît que les élèves en difficultés sont classés en deux catégories :
ceux qui relèvent du champ du handicap, et ceux qui n’en relèvent pas. Ce constat peut sembler brutal
et réducteur, et pourtant… Les élèves de la 2° catégorie sont bien souvent considérés comme « en difficulté scolaire », d’où la mise en place de l’aide perso, des stages de remise à niveau, bref de toutes ces mesures prônant le « bien-fondé » des réformes…Notre hiérarchie, ne pouvant totalement ignorer les effets
du démantèlement des Rased, considère alors que les enseignant(e)s doivent savoir gérer la difficulté scolaire, considérant que la difficulté est scolaire ou n’est pas.
C’est l’occasion pour nous de revenir sur la lutte des Rased mais aussi d’interroger le lien avec le handicap à l’école.

Face au manque de moyens humains, les Rased se concentrent (par nécessité ou par pression) sur les élèves de cycle 2, au détriment des élèves de cycle 3. Ceux-ci sont donc totalement abandonnés, sauf par la / le psy scolaire vers qui se tournent alors les enseignant(e)s en vue d’une éventuelle orientation en Segpa. (Rappel : sont orientés en Segpa les élèves qui rencontrent des difficultés scolaires persistantes et qui – pour faire simple et brutal – ont redoublé une fois). Mais le redoublement coûte cher ! Peu importe le temps nécessaire, la tendance est à la réduction drastique et économique du taux de redoublement. On peut donc ainsi justifier la disparition progressive des Segpa… Les enseignant(e)s du collège auront à gérer la difficulté (dite) scolaire…

Il est également « demandé » aux Rased (E & G surtout) d’être efficaces. Les élèves en situation de handicap (par exemple en attente d’un établissement, d’un Sessad) ne sont pas aidé(e)s par le Rased qui doit se centrer sur des missions courtes et efficaces. Ainsi, au sein des équipes enseignantes, la tentation est de plus en plus grande de faire appel aux AVS.

Revenons aux enfants qui relève(raie)nt du champ du handicap
Pour les familles, accepter la notion de handicap, nécessite un parcours long et souvent douloureux, ce parcours peut être jalonné de culpabilité, déni, examens et bilans, attentes, doutes, rejets, jargon, inquiétudes, nouveaux bilans, incertitudes. Ce parcours nécessite, le plus souvent, un accompagnement professionnel et humain, accompagnement qui requiert écoute, recul, conseils, temps, disponibilité, et donc, complètement à l’opposé du rendement et de l’efficacité. À tort ou à raison, j’estime que cet accompagnement des familles fait aussi partie des missions des Rased (au moins des psy). Mais pour y parvenir, encore faut-il en avoir le temps…

Au bout de ce parcours, les familles peuvent se heurter à un autre écueil : la liste d’attente. Cette liste se mesure parfois en nombre d’années (1, 2, 3, parfois 4). Il faut alors expliquer que le handicap de l’enfant est bien reconnu, qu’il a droit à ces fameuses mesures de compensation, mais qu’il va continuer son parcours scolaire dans son école, et ce, sans aide, pas même celle du Rased. Il faut également expliquer à l’enfant que pendant une année on l’a préparé à changer d’école, de copains/copines, d’environnement, qu’on l’a préparé à une rupture, mais que son dossier est en liste d’attente. Il faut également l’expliquer aux équipes enseignantes et affronter la terrible question : « ben comment je vais faire moi ? ».

Face à cette situation, l’Éducation nationale a deux armes imparables :

– Le concept d’élèves à besoins éducatifs particuliers. Il s’agit en fait d’un doux euphémisme, mis en forme sur le site du MEN 1, où on nous rappelle toutes les mesures auxquelles ont droit les élèves handicapés… même quand, de fait, ils n’y ont pas droit.

– Les AVSi (Auxiliaire de vie scolaire individualisé). Le redoublement coûte cher, les Rased coûtent cher, le handicap coûte cher, on fait donc appel aux AVS qui ne coûtent pas cher. On fait appel aux AVS précaires, interchangeables, sans avenir professionnel (parce que cet avenir leur est refusé !).

Prenons une situation (presque) au hasard, celle de Kévin. Kévin est un enfant autiste (oups, on ne dit plus autiste, on dit TED pour Trouble envahissant du développement). Les différents bilans, les équipes éducatives se succèdent durant 18 mois. En mai, la famille de Kévin a bien reçu une notification de la MDPH 2 indiquant qu’il peut être scolarisé en Clis. En juin, elle reçoit un courrier de la Car 3 précisant que, faute de place, Kévin sera scolarisé en classe ordinaire, mais que son dossier est en liste… d’attente. En septembre, Kévin est scolarisé dans son école habituelle, sans aide, la prise en charge du maître G a été interrompue. En octobre, nouveau courrier de la MDPH, on y précise que Kévin a droit à un accompagnement par AVSi, pour la durée de son temps de scolarisation. Il faut maintenant recruter un(e) AVS. Après 2 mois d’un parcours administratif kafkaïen, Lucie est recrutée. Kévin et sa famille, son enseignante, apprennent la nouvelle avec soulagement. On se dit qu’à la rentrée de janvier, Lucie sera présente pour accompagner Kévin et l’aider à gérer ses angoisses. En janvier, Lucie n’est pas là, elle attend le courrier lui confirmant son contrat. Le lycée mutualisateur, qui gère sa situation, lui a précisé que cela pouvait prendre un ou deux mois. Kévin et son enseignante vont mal. Mais Lucie va arriver bientôt, en plus elle a lu des choses sur la triade autistique. Le 15 février, Lucie arrive, mais elle n’accompagnera Kévin que durant 12 heures, les 12 autres heures étant réservées à Chloé, scolarisée dans une autre école (le dossier de Chloé est aussi sur liste… d’attente).

Lucie découvre alors que la théorique triade autistique est bien éloignée de la réalité des angoisses de Kévin. Lucie craque et rompt son contrat. Kévin reste avec sa notification MDPH, et sa liste d’attente. Kévin est autiste. Il arrive aussi que Lucie soit en fin de contrat. Double peine pour Lucie et Kévin. Un(e) autre AVS viendra, après recrutement…

Vous avez dit handicap ? Retour sur la lutte des Rased

Cette situation est bien le fruit d’une volonté politique.
Souvenons-nous, en octobre 2008, le sinistre DarK-os, dévoile les « mesures et les réformes » prévues pour l’école, parmi celles-ci : la suppression de 3 000 postes Rased. Jusque-là, les menaces contre le dispositif Rased étaient insidieuses, larvées et, brutalement, elles prennent forme, elles sont chiffrées. On tente même de les argumenter, expliquant combien cette réforme est légitime et nécessaire.

Cette réforme, rappelons-le encore, n’est pas le fruit du hasard, elle est le fruit d’une « logique » programmée de longue date, Darcos (et ses réseaux) s’y étant préparés depuis plusieurs années. La rentrée 2008 voit d’abord la mise en place de la semaine de 4 jours. La nouvelle organisation du temps scolaire tend à remettre en question le texte d’avril 2002, pourtant non abrogé, qui précise le fonctionnement des Rased (heures de synthèse, aides spécialisées, spécificités des missions…). Un guide pratique des parents est distribué dans les écoles, et à aucun endroit on ne trouve la moindre allusion aux Rased. Puis, quelques semaines après, les rumeurs n’en sont plus : 3 000 postes Rased sont voués à disparaître !

Pour certain(e)s collègues, c’est la seule peur de perdre son poste qui apparaît alors d’emblée, mais, pour beaucoup d’autres, les enjeux sont ailleurs. C’est l’ensemble d’un dispositif destiné à aider, accompagner, mettre en valeur, restaurer la confiance en soi des élèves en difficultés qui est menacé.

Dès le mois de septembre à Lens, vêtu(e)s de gilets jaunes, des membres de Rased s’étaient déjà mobilisé(e)s lors d’une animation pédagogique, pour interpeller l’ensemble des collègues présents. Cette opération de tractage voit la naissance du Collectif Rased 62. Il est constitué de personnes syndiquées ou non, majoritairement des enseignant(e)s travaillant en Rased (maître G, maître E, psy) mais également d’autres enseignant(e)s, des parents, des retraité(e)s, des élu(e)s. Il s’agit d’un collectif, donc sans hiérarchie, sans responsable (au grand dam des RG…), et sans argent, fonctionnant en totale autogestion ; un collectif créé pour mener une réflexion, mais aussi des actions et surtout engager la lutte.

Collectif de réflexion et d’action

Dès le début, s’y retrouvent des personnes aux parcours militants très divers. Si certain(e)s ont une longue expérience de la lutte, la plupart d’entre nous est bien souvent novice en la matière. Les premières assemblées générales du collectif font apparaître un large ensemble de propositions d’actions. Au début, la mobilisation est forte, et ce d’autant plus que ces menaces de suppression des Rased ont un certain écho médiatique.

La nouvelle organisation de l’école voyait aussi la mise en place de la fameuse aide personnalisée, imposée à chacun par la pression des IEN. Dans le Pas-de-Calais, les désobéisseurs qui refusaient la mise en place de l’aide perso étaient loin d’être légion… pas forcément facile de s’opposer à sa hiérarchie en refusant l’aide perso et en soutenant les Rased… Lors des conseils d’écoles, certains directeurs pouvaient voir d’un mauvais œil l’arrivée de collègues qui venaient revendiquer le maintien des Rased. Et puis, pour bon nombre d’enseignant(e)s, le fonctionnement des Rased était souvent obscur, il a été réellement nécessaire d’effectuer un véritable travail de communication.
Ainsi le collectif a voté, pétitionné, débattu à la télé, à la radio, dans les journaux, gambergé, mais… n’a pas oublié que quand il se passe réellement quelque chose, c’est dans la rue que cela se passe ! Et dans la rue, le Collectif s’y est rendu, soit lors des manifs nationales ou régionales, soit de sa propre initiative devant l’IA, la préfecture, les écoles, dans les quartiers… Nous étions parfois grisé(e)s par le nombre de militant(e)s, par les fins de manifs au son de L’Internationale, HK ou Damien Saez, nous avons aussi connu les rassemblements à 30 participants, les attentes dans le froid lors des demandes d’audience.

Les AG ont aussi donné lieu à des débats, à des oppositions. Même si elles sont restées minoritaires, et non adoptées, des actions plus radicales ont été plusieurs fois évoquées (blocage de péages, non-transmission des comptes rendus des psychologues). À plusieurs reprises, la question d’un élargissement des actions du Collectif s’est posée : se placer dans une perspective de lutte pour l’ensemble de l’école publique, se placer dans une perspective de convergence des luttes. Ces questions restent posées… Un certain nombre de militant(e)s du collectif se sont régulièrement retrouvé(e)s à l’occasion d’autres luttes (défenses de migrant-e-s, des sans-papiers, mouvement contre la réforme des retraites, défense des services publics, manifestations antifascistes, etc.).

À l’origine, le collectif s’est créé aussi pour mener des réflexions, deux moments forts sont à retenir :

– Un forum régional en février 2011 avec les interventions remarquées de Daniel Calin, Jean Biarnes, Claudine Ourghanlian et Pierre Delion.

– La projection du film Un parmi les autres (produit par la Fnaren 4) et les débats qui ont suivi.

Et aujourd’hui ?

À ce jour 2 500 postes ont été effacés . En parallèle, les formations se réduisent à peau de chagrin, et tout est fait pour décourager les collègues qui souhaiteraient en suivre une. D’ailleurs, en septembre 2012, dans le Pas-de-Calais, on note : 0 départ en formation pour les E et les G, 3 départs possibles pour la formation psy. Les collègues pour la formation psy devront en outre aller à Boulogne-Billancourt (centre maintenant le plus… proche) puisque le ministère a autoritairement et arbitrairement décidé la fermeture de 50 % des centres de formation pour les psy scolaires.

De nombreux collègues sont épuisés par une lutte qui n’a pas produit les effets escomptés, certain(e)s misent sur un mois de mai « prometteur », d’autres se tournent vers d’autres missions. Ceux qui restent, tentent de résister aux pressions des chéfaillons qui déshabillent Kévin pour habiller Mattéo, qui calculent, mesurent, évaluent et finalement dévaluent. Ceux qui restent tentent de continuer de défendre un autre projet d’école et de société basé sur la coopération, l’étude de la complexité, la réflexion, la tolérance, la générosité, et non pas sur la simplification réductrice, la compétition, la mise en concurrence, la domination et la RGPP.

Une certaine idée de l’éducation…

Nous apprenons également un nouveau concept : travailler plus et plus vite, avec moins, c’est en tout cas celui auquel nous devons résister. Résistance d’autant plus difficile que la hiérarchie fractionne et individualise, que les collègues enseignant(e)s soumis(e)s aussi aux pressions de résultats multiplient – souvent à juste titre – les demandes d’aide mais y voient souvent une urgence, une situation qui serait résolue en un seul entretien. À l’inverse, la créativité et l’estime de soi des élèves semblent de plus en plus oubliées, quand elles ne sont pas piétinées. J’en veux pour preuve cette petite phrase d’une enseignante adressée, il y a quelques jours, à un élève qui demandait s’il pouvait aller jouer : « …avec toutes les fautes que tu m’as faites… certainement pas ! » On pourrait hélas multiplier ce type de phrases ou de comportements sentencieux qui n’ont rien à voir avec l’école publique que nous défendons.

Nous devons aussi faire face à des réponses institutionnelles qui s’éloignent dangereusement d’une école humanisante et me semblent de plus en plus sécuritaires : d’un côté, nous sommes de plus en plus contrainte(e)s de laisser de côté des élèves qui en ont besoin, ce qui est déjà une forme de rejet inacceptable. D’un autre côté, nous assistons à des réponses de type « informations préoccupantes », exclusion, stigmatisation, orientations prématurées, déscolarisation (pour favoriser la socialisation ?). De plus en plus d’élèves en souffrance, faute d’accompagnement adapté, manifestent leur mal être et présentent des troubles du caractère, du comportement, et perturbent le fonctionnement de la classe, voire de l’école. « Cachez ces trublions que nous ne saurions voir » nous répond l’institution, en oubliant qu’elle participe largement à la construction de ces mal être. La lutte est loin d’être terminée et les motifs pour la poursuivre loin d’être éteints !

Ces luttes doivent aussi être une force de construction et de propositions. Entre les propositions floues et celles qui veulent externaliser et privatiser encore plus l’aide aux élèves en difficultés, le Collectif Rased 62 entend bien montrer encore qu’une autre école est possible, et ne lâchera rien ! ■

Franck (maître G) et Laurent (psy sColère), Sud Education et Collectif Rased 62.

Pour aller plus loin :

– l’excellent site du collectif Rased en lutte : http://rased-en-lutte.net

– le blog de « Jean Rumain   : http://jean-rumain.over-blog.com/

– le site de Daniel Calin : http://dcalin.fr/rased.html

1. www.esen.education.fr/fr/ressources-par-type/outils-pour-agir/le-film-annuel-des-personnels-de-direction/detail-d-une-fiche/ ?a=101&cHash=edacb88737)

2. Maison départementale de la personne handicapée.

3. Commission d’affectation et de régulation.

4. Fédération nationale des associations des rééducateurs de l’Éducation nationale.

Les Rased sont apparus en 1990, avec les CMPP, ils sont les héritiers de l’approche psychopédagogique des difficultés scolaires qui s’est développée en France après la Seconde Guerre mondiale, dans la foulée de la Résistance.

Les Rased ont pour mission de fournir des aides spécialisées à des élèves en difficulté dans les classes ordinaires des écoles primaires, à la demande des enseignants de
ces classes, dans ces classes ou hors de ces classes. Ils comprennent des enseignants spécialisés chargés des aides à dominante pédagogique, les « maîtres E » (difficultés d’apprentissage), des enseignants spécialisés chargés des aides à dominante rééducative,
les « maîtres G » (difficultés d’adaptation à l’école) et des psychologues scolaires.

(d’après le site de Daniel Calin : http://dcalin.fr/rased.html)