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Syndicalisme et pédagogie... Pas à côté, pas n’importe où, exactement juste en dessous

lundi 12 mars 2012, par Greg

Syndicalisme et pédagogie sont comme les deux visages de Janus de ce qui serait plus globalement un engagement politique et social. En devenant enseignant sur le tard, en 1995 l’année du plan Juppé et des grèves, j’ai rapidement retrouvé l’un et l’autre, les syndicats et le mouvement Freinet.


Gérard Rigaldo, CNT-FTE, ICEM 46 & ICEMSO

Du côté des syndicats, ce qui me semble être un des éléments les plus marquants, est le conservatisme corporatif dont la plupart font preuve. Dans la presse syndicale, il est surtout question de vie syndicale, d’organisation des luttes (principalement des « journées d’action »), de critiques des réformes ou des pseudo-réformes, très rarement de questions concernant la fonction et le rôle de l’école, des relations entre école et pouvoir. Le côté pédagogique se résume le plus souvent à mettre en avant une pratique innovante ou originale dans une classe pour lutter contre l’échec scolaire, mettre en place une pédagogie active, un atelier philo… Tout comme lors de journées d’étude ou d’universités, les réels débats sont souvent absents, laissant la place à l’intervention de « spécialistes », de préférence très médiatiques ou médiatisés pour amener du monde. En contrepoids, existent des revues syndicales heureusement différentes (un syndicalisme différent) : historiquement ce fut L’École émancipée, aujourd’hui L’Émancipation et notre revue pour une révolution sociale, éducative et pédagogique, N’Autre école. En couverture du premier numéro, la question était posée : « Pour changer l’école… pédagogie ? Syndicalisme ? »

Du côté mouvements pédagogiques, le bon côté, rassurant, est d’y retrouver des militants syndicaux. Il est vrai que les liens historiques entre mouvement syndical et mouvement pédagogique existent dès l’origine et la littérature abondante sur le sujet. Pour autant, il est toujours nécessaire de le rappeler, notamment auprès de ceux qui ne veulent que se poser des questions de pratiques pédagogiques vues comme socialement et politiquement neutres, qui chercheraient une pédagogie aseptisée, ou viendraient en consommateurs de techniques, d’outils pour faire la classe. En recherchant ce qui avait déjà été dit à propos de l’engagement politique et pédagogique au moins au sein de l’Icem, je laisse la place à des militants du mouvement et à leurs témoignages retrouvés en particulier sur le site des Amis de Freinet, le mouvement Freinet au quotidien, des praticiens témoignent (www.amisdefreinet.org) :

– En 1936, Freinet écrit : « La défense de nos techniques, en France comme en Espagne, se fait sur deux fronts simultanément : sur le front pédagogique et scolaire, certes, et sur le front politique et social pour la défense vigoureuse des libertés démocratiques et prolétariennes. Nous ne comprendrions pas que des camarades fassent de la pédagogie nouvelle sans se soucier des parties décisives qui se jouent à la porte de l’école, mais nous ne comprenons pas davantage les éducateurs qui se passionnent activement pour l’action militante et restent en classe de paisibles conservateurs. » (Éducateur, n° l du ler octobre 1936, cité par Pierre Yvin

– Tous les militants doivent se trouver confrontés un jour à cette situation. Ils s’engagent sur un fait précis, s’aperçoivent que tout est contingent et se trouvent en première ligne sur plusieurs fronts où ils rencontrent d’ailleurs les mêmes camarades : ceux qui n’acceptent pas la fatalité. C’est encore vrai aujourd’hui. Alors ? (Jeannette Le Bohec)
– De nos jours, les techniques modernes font leur entrée à l’école, pour le meilleur ou pour le pire. Mais ce serait trahir la pensée de Freinet si on occultait de la pédagogie le message politique qui était le sien. (Henriette Moneyron)

Au cours d’une réunion-meeting pour la paix en Algérie d’enseignants de la Fen, organisée par la tendance « École émancipée », je retrouve avec joie les mêmes instits « Freinet », sauf un… Résultat : j’adhère aux Amis de l’Éé et m’abonne à la revue L’École émancipée. J’y apprends qu’on peut y conjuguer ensemble syndicalisme et anarchisme, et que cela donne l’anarcho-syndicalisme d’action directe, indépendant de tout pouvoir politique de droite comme de gauche, autogestionnaire et révolutionnaire. Et que cela a même marché un moment en Espagne pendant la guerre civile ! En cette année 1962 décisive, me voilà presque rassuré sur la cohérence de mes engagements politique, pédagogique et syndical : je suis devenu un « anar-Freinet-École émancipée ». Ou du moins aspire à l’être…

– Pour nous, la recherche de la cohérence entre les finalités et les pratiques doit toujours être un objectif des praticiens novateurs soucieux de changer l’école. Nous n’avions évidemment pas la prétention de changer la société par l’école. Nous savions que la démocratisation de l’école bourgeoise était un leurre et que, comme le dit la Charte de l’École Moderne, « Le contexte social et politique, les conditions de travail et de vie des parents, comme des enfants, influencent d’une façon décisive la formation des jeunes générations. » Nos camarades révolutionnaires nous disaient alors : « À quoi bon s’occuper aujourd’hui d’éducation ! À quoi bon essayer dès aujourd’hui de changer l’école ! Changeons d’abord la société ! »
Faut-il changer la société pour changer l’homme ou faut-il changer l’homme pour changer la société ? Vieux débat et dilemme insoluble souligné par Marx, Proudhon, Marcuse, entre autres : seule une révolution sociale peut fonder une société d’hommes libres, mais ce sont seulement de tels hommes qui peuvent faire une révolution. « On ne peut espérer de la révolution, disait Marcuse, aucun changement qualitatif si les hommes qui font la révolution sont des hommes et des femmes conditionnés et formés par la société de classe, dans leur mentalité, leurs besoins et leurs aspirations. » Alors à ceux qui nous accusaient d’« illusion pédagogique », de « créer des îlots de socialisme dans l’école capitaliste », « de faire le jeu du pouvoir en améliorant le fonctionnement de l’école », nous répondions avec Freinet : « Oui, changeons la société, mais luttons aussi pour changer l’école, car il s’agit de lutter sur deux fronts à la fois, sur le front politique et sur le front culturel… (Le Mouvement Freinet, de l’autogestion à la démocratie participative, Jean Le Gal)

Pour conclure, je n’ai que peu de choses à ajouter si ce n’est qu’il me semble primordial de continuer à poser ces questions tant à l’intérieur de nos syndicats qu’au sein des mouvements pédagogiques mais également au-delà. Des liens existent historiquement, se poursuivent au travers de l’engagement de militants en même temps dans les syndicats et dans les mouvements pédagogiques, des échanges et des coopérations ne demandent qu’à se développer… du moins, j’ose y croire.

C’est sûrement un rêve dialectique, « Que je me fais les yeux ouverts, Et pourtant si c’était réel ? » ■