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Former à l’émancipation, faut-il restaurer les IUFM ?

vendredi 21 janvier 2011, par Greg

Par Benoît Guerrée, CNTéducation 34.


La version initiale de ce texte a été publiée dans le hors-série numérique des Cahiers Pédagogiques « Quelle formation pour les enseignants » (voir site : www.cahiers-pedagogiques.com).
Il est publié avec l’aimable autorisation des Cahiers Pédagogiques.
Suite à la disparition des IUFM l’auteur a bien voulu mettre
à jour sa contribution.

La formation ne s’arrête pas à la formation initiale, le travail collaboratif peut être un levier de la formation continue qu’il s’agirait d’initier dès le début de carrière.
La démolition des IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) a conduit à défendre un modèle de formation qui a eu « certes quelques défauts mais qui est tout de même performant », mais est-ce vraiment ainsi que l’on peut former à l’émancipation ?

Pourtant, on ne peut dissocier la réflexion sur l’apprentissage, sur la pédagogie, sur les finalités de l’éducation, d’une mise en place pratique face à un public d’enfants… mais aussi d’adultes. Et quel moment plus approprié que celui de la formation pour s’exercer à la pratique ?
Les éléments d’analyse et de propositions sur la formation initiale et continue des enseignants qui vont suivre découlent d’une vision émancipatrice [1] de l’éducation.

Si le fonctionnement des classes dites coopératives tente de répondre à ces préoccupations, si les récents travaux de recherche menés en sciences de l’éducation démontrent la pertinence d’un apprentissage mutuel basé sur l’entraide, la progression individuelle et la démocratie, pourquoi ne pas le transposer à la formation pour adultes ? Soyons cohérents : si nous évoquons la nécessité de la pédagogie de projet, du travail en groupe, de la contextualisation des apprentissages, de la réflexion sur le monde qui nous entoure, alors appliquons-la dans les IUFM ou dans tout autre lieu de formation !

Le besoin de l’apprenant comme point de départ de l’élévation
On connaît le mode de formation officiel, dans les IUFM comme dans les formations express d’aujourd’hui : des cours, des conférences…, bref, dans le meilleur des cas la continuation de la fac.

Cela ne répond en rien aux attentes aussi diverses que celles provenant de personnes ayant déjà exercé le métier d’enseignant (liste complémentaire), ou bien ayant travaillé dans l’animation, l’éducation spécialisée, sortant de l’université ou tout autre cas de figure. Pas plus qu’à celles et ceux qui « débarquent », également pleins d’attente… et d’anxiété ! Les besoins sont aussi très différents selon la personnalité des formé-es, le niveau et le milieu dans lequel ils enseignent, etc.
La richesse du groupe, au lieu d’être utilisée comme telle, est de fait oubliée par le simple dispositif choisi.

Être acteur de sa formation, de son contenu et de ses modalités

Ainsi, une structure de classe coopérative pourrait répondre de manière effective aux évidentes multiplicité et évolution des besoins mais aussi au pluralisme des expériences dont chacun peut se nourrir. Décider ensemble en réunion du programme de la semaine, mettre en place un tutorat selon les thèmes choisis, organiser des marchés de connaissances [2], prendre toutes les décisions collectivement, autant d’exemples qui pourraient être naturellement pratiqués.
En effet, un grand nombre de recherches sur le tutorat ont montré à quel point il est difficile de discerner qui, du tutoré ou du tuteur, apprend le plus.

Transmettre, proposer, échanger, confronter une pratique, un outil ou un concept permet assurément de se l’approprier davantage et de le faire évoluer.

C’est au sein même des lieux de formation qu’il faudrait permettre ou étendre ce type de fonctionnement. De plus, il est fréquent de rencontrer dans ces lieux d’échanges de savoirs, où chacun peut offrir ses connaissances et chercher à en acquérir de nouvelles, une certaine distance face aux cours dispensés, dont seule l’obligation légale permet le remplissage. Si l’ensemble des modalités d’affectation, de contenu, de forme ou d’intervenants est décidée par les personnes concernées elle-mêmes, alors la formation, quelle qu’elle soit, sera bien plus bénéfique pour l’ensemble de ses acteurs.

Cela ne serait qu’une mise en application pratique d’un discours courant qui consiste à énoncer la nécessaire implication des élèves, transformant ainsi leur état passif en prise de conscience par l’action. De même, on loue couramment les vertus du débat dans les classes, incluant le choix, la régulation de celui-ci par les apprenants. Cette forme d’apprentissage (écoute, confrontation d’idées, argumentation spontanée, distribution de la parole, etc.) est pourtant peu pratiquée dans les IUFM ou tout au long de la carrière d’un enseignant. Pourtant, si l’on souhaite former les élèves à réfléchir, encore faudrait-il réfléchir soi-même…

Une autre place du maître, une autre place pour les formateurs

Toujours dans la même optique d’adéquation entre une vision de l’école et les formations d’adultes, il est essentiel d’aborder la place du « maître » d’un point de vue humain, pédagogique et statutaire. En effet, si l’égalité totale entre enfants et adultes ne peut exister pratiquement en classe de manière absolue, elle pourrait (devrait) l’être entre collègues [3]. Tout d’abord, cela devrait commencer par la dissociation essentielle de la fonction de formation et d’évaluation. En effet, il paraît illusoire de construire un réel rapport d’échange tel qu’énoncé dans ses grandes lignes plus haut, si l’un des interlocuteur-partenaires de l’apprentissage mutuel est dans le même temps celui qui a un pouvoir sur la vie des autres. En clair, il ne peut y avoir d’égalité tant que les formateurs noteront les rapports des stagiaires, valideront ou non leurs stages, rendront compte des absences, de l’attitude, etc. L’enjeu qui réside dans ce pouvoir, certes d’importance variable, fausse toute relation saine au sein d’un groupe. En effet, la liberté d’infirmer, de compléter ou d’interroger le positionnement d’un formateur sera réduite dès lors que des conséquences négatives pourront découler d’une éventuelle contestation. Cette dernière est pourtant un indispensable frein à l’obéissance aveugle à une norme ou à une règle.
Comment de nouvelles idées ou fonctionnements pourraient émerger sans remise en cause ? Des générations d’enseignants ont ainsi pratiqué la punition corporelle, par reproduction d’un schéma admis par la plupart. Dans un contexte politique peu favorable à l’émancipation individuelle et collective, on se doit d’adopter une posture critique face aux nouveaux canons éducatifs ministériels ou aux nouveaux modes d’évaluation et de fichage des élèves et enseignants. Il est aussi couramment et justement répandu l’idée que l’humiliation de l’élève n’est pas vectrice d’épanouissement et donc d’apprentissage. Des postures, au mieux paternalistes, au pire vexatrices peuvent entraîner un profond malaise chez les stagiaires à l’issue de visites de formateurs ou de l’inspection.

Partir du concret pour développer l’apport théorique

De nombreuses incohérences existent dans les divers niveaux de formation, par manque de relation concrète à l’objet théorique étudié. Dans l’ordre chronologique, on assiste à des préparations aux concours d’enseignement sans visite de classe, des formations de stagiaires sur le handicap qui ont lieu devant un polycopié ou des formations continues où l’on ne voit pas d’élèves.

Si la réponse à ces évidents problèmes ne peut être apportée avec les « visites-zoo », des confrontations au réel sur un mode interactif sont possibles. Les visites-zoo, ce sont ces visites destinées à illustrer ponctuellement un module de formation sur les élèves de ZEP, de la campagne, handicapés… On voit alors un groupe de 20-25 apprenants débarquer pour une demi-journée dans un établissement « à caractère particulier », avec présentation, observations et questions au responsable. Pour apprendre à cuisiner, on ne fait pas que regarder faire, il faut mettre la main à la pâte, sous peine de rater la tarte ! Idem avec des enfants.

Quelle formation continue ?

Vu de l’extérieur, le fait qu’un enseignant puisse pratiquer son métier plus de 40 ans sans observer d’autre classe que la sienne, sans recevoir d’autres visites que celle d’un inspecteur ou conseiller pédagogique peut paraître absurde. Ça l’est. Un outil de co-formation pertinent pourrait être mis en place avec la visite régulière de classes de collègues. Beaucoup d’idées émergent de l’observation discutée de ses pairs. Également, par les interrogations posées par le visiteur, l’enseignant qui ouvre sa classe ouvre aussi son champ de réflexion pour expliquer tel ou tel dispositif choisi, ce qui peut éventuellement permettre de le modifier. Associés à ces visites [4], des stages pour approfondir tel ou tel aspect issu des observations seraient organisés, à partir des demandes des enseignants et avec des modalités de fonctionnement proches de celles évoquées précédemment.

En conclusion, c’est une refonte générale de la formation qu’il faut envisager, une formation issue des besoins des formés, coopérative, égalitaire et émancipatrice. Il va de soi que cela nécessite du temps, au delà d’une simple année. La contestation des réformes actuelles ne doit se limiter à la défense d’un système antérieur tout à fait contestable. ■


[1Qui permet de faire des choix libres et éclairés concernant sa propre vie.

[2Lieu d’échanges de savoirs où chacun peut offrir ses connaissances et chercher à en acquérir de nouvelles.

[3À entendre au sens d’acteur de la communauté éducative, membre de l’Education nationale ou non.

[4Que l’on pourrait comparer aux sorties-découvertes chères à Célestin Freinet.