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DE RETOUR DE GRÈVES : la caisse de grève, un outil retouvé

jeudi 13 janvier 2011, par Greg

Dans notre mouvement, on a vu tenir des piquets de grève plusieurs semaines. Pour certains, la répression financière va être très dure. Comment en effet vivre aujourd’hui avec la moitié, ou moins, de son salaire ? Pour d’autres, aucun dommage financier à attendre. Grâce à la caisse de grève. Aussi vieille que la grève elle-même, elle consiste à s’organiser pour se payer soi-même les jours non travaillés. On a ainsi vu des militants de différentes organisations se rendre aux raffineries bloquées avec des enveloppes de plus de 1 000 €, récoltées dans leurs réunions, au cours de meetings de soutien, d’AG, On a vu des particuliers verser des sommes substantielles par internet, des travailleurs pour qui la grève paraît impossible verser leur journée de salaire, des chercheurs récolter leurs journées de grève (souvent payées) en AG, et plein d’autres gestes de solidarité. L’afflux important d’argent dans les caisses a été accru par le fait que peu de gens ont véritablement fait grève. Quelques journées isolées à l’impact modéré sur le budget, RTT prises les jours de grève « générale » (assez rares), ou même participation nulle au mouvement, ils ont été nombreux à pouvoir verser de l’argent.

Cette caisse est aussi simple à mettre en place qu’à faire vivre. Le plus difficile est peut-être de la vider… Parlons de deux exemples de caisses de grève qui fonctionnent régulièrement : celle du syndicat CNT des travailleurs de l’éducation 75 et celle de l’AG des personnels enseignants de Paris.

Celle du syndicat se remplit grâce aux sur-cotisations de certains de ses membres. Mise en place en 2003 suite à la dure répression financière qui a suivi le mouvement contre la réforme des retraites (encore un), elle s’est remplie tranquillement au cours des années. Les versements sont basés sur le volontariat, et leur montant est échelonné en fonction des revenus. La caisse a servi à plusieurs reprises, pour rembourser des camarades qui ont fait quelques jours de grève et qui en demandent le remboursement, mais surtout pour payer les jours de ceux qui ont participé à des mouvements reconductibles. Ainsi en 2008 contre les réformes Darcos, en 2009 contre les évaluations nationales. Les reversements se décident en AG de syndicat, où on peut discuter de la répartition du montant de la caisse. Malheureusement, cette caisse risque de s’avérer insuffisante pour payer tous les jours de la grève d’automne, vu qu’on est un paquet à avoir fait deux semaines en reconductible ! C’est pour cela qu’on a poussé à ce que l’union régionale des syndicats CNT d’Île de France monte sa caisse de grève, mais aussi l’AG des personnels enseignants de Paris. Bien heureusement ces deux derniers ne se sont pas fait prier ! Avec ces deux caisses en plus, on peut raisonnablement penser que la grève d’octobre ne pèsera pas sur nos budgets. Et peut-être même qu’on pourra aussi payer la grève contre les évaluations nationales de CM2 (pour s’y opposer sans risquer qu’un remplaçant les fasse subir aux élèves, et ne prêter le flanc à aucune répression, la meilleure méthode est de faire grève toute la semaine du 17 au 21 janvier, et de se faire payer par une caisse de grève !).

L’AG parisienne des personnels enseignants est un regroupement des AG d’arrondissements. Très majoritairement composées de profs des écoles, ces AG se mettent en place à chaque conflit social, mais restent aussi mobilisées toute l’année pour des problèmes locaux ou sectoriels. Par exemple, l’AG 18è s’est mobilisée pour faire revenir une mère d’élève sans papiers expulsée en 2007, mais aussi pour lutter contre la cruelle inspectrice de l’une de ses circonscriptions. En 2008, l’AG parisienne a mis en place une caisse de grève au moment de la lutte contre les réformes Darcos. Avec le vaste mouvement de désobéissance qui a suivi, une caisse nationale a même été constituée. Les désobéisseurs parisiens qui l’ont souhaité ont été remboursés intégralement de leurs retraits sur salaires : pour certains, cela a représenté environ 1 000 €. Moitié par la caisse de grève de l’AG, moitié par la caisse nationale. Et la caisse parisienne a été réactivée dès la rentrée 2010 pour faire face au mouvement qui se profilait. L’AG a appelé rapidement à se mettre en grève reconductible, qui a réellement démarré le 12 octobre, chacun ayant dans un coin de la tête que la caisse pourra les aider au moment des retraits sur salaire. Les reversements seront bientôt organisés en AG.
Comment faire rentrer de l’argent dans une caisse de grève ? Pour l’AG parisienne, les ventes de T-shirts marchent assez bien : en manif ou à chaque événement militant, vous risquez de croiser des vendeurs de tels T-shirts (« Non aux enfants robots » en 2008, « Mourir au travail plutôt crever » en 2010). En 2008, les badges « Désobéir pour agir » avaient permis de nombreuses recettes. En général, les dons sont une source importante, ainsi que les fêtes de soutien, spécialité estampillée CNT (des fois, on se demande si notre local n’est pas devenu une salle des fêtes !). On y organise débats et spectacles, avec nourriture et boisson, entrée et consommations à prix libre, et tous les bénéfices vont dans la caisse de grève. Plutôt que d’aller enrichir un patron de bar ou de restaurant, il est plus doux de mettre son budget « fiesta » au service du mouvement social !

L’intérêt d’une caisse de grève n’est plus à démontrer au niveau financier. Son intérêt militant est aussi intéressant : c’est un outil de mobilisation et d’émancipation. Il aide à mobiliser : grâce à lui, le gréviste de longue haleine n’est plus l’avant-gardiste, le martyre, mais le simple travailleur conscient de ses capacités de lutte. C’est un outil d’émancipation, car il faut le gérer collectivement, que ce soit pour y faire rentrer de l’argent ou pour en faire sortir. On ne saurait donc trop conseiller de mettre en place des caisses de grève, au niveau des AG locales, dans les syndicats ou les sections syndicales, dans les établissements, partout où c’est possible. Des exemples concrets ont prouvé l’efficacité de cette démarche, depuis la préhistoire des mouvements de grève, jusqu’aux plus récents. Si l’arme des travailleurs est la grève, elle s’affute avec ce genre d’outil. Mais attention, il ne faut pas oublier quand même que l’exigence du paiement des jours de grève par le patron reste une revendication fondamentale, historique, et très efficace !

Pascal Moncey, CNT éducation 75

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