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À l’école des stéréotypes
mardi 1er octobre 2013, par
Les stéréotypes sexistes contribuent largement à l’inégalité homme/femme. L’école a le devoir,
affirmé par l’institution, de promouvoir la mixité et l’égalité et de lutter contre les discriminations.
Elle est un lieu où les élèves peuvent s’émanciper et développer un esprit critique propre
à déconstruire les stéréotypes. Par le biais d’activités diverses, il est possible de créer
un espace de débat et de réflexion avec les élèves afin de faire évoluer leurs représentations.
Un stéréotype c’est quoi ?
Les stéréotypes se définissent comme des théories implicites de la personnalité que partage l’ensemble des membres d’un groupe à propos des membres d’un autre groupe et du sien. Ces croyances, positives ou négatives, sont généralisées à tous les membres du groupe. Les stéréotypes ont pour fonction de rendre plus compréhensible et prévisible l’environnement complexe dans lequel on vit.
Lors du processus de catégorisation, c’est-à-dire lors du processus mental par lequel différents objets sont perçus comme similaires, les individus filtrent la grande quantité d’informations qui leur provient de l’environnement et simplifient le traitement de celle-ci en ignorant certaines dissemblances et en exagérant les ressemblances.
Dans le processus de catégorisation sociale, les stéréotypes permettent de faire l’économie de jugements complexes sur chaque individu.
Les stéréotypes sexistes
Ils véhiculent des informations caricaturales sur les différences entre hommes et femmes : les femmes ne savent pas conduire, les garçons sont meilleurs en mathématiques, les filles sont plus attentionnées, douces ou bavardes, les hommes ont plus d’autorité… Comme l’école est le reflet de la société, on retrouve de nombreux stéréotypes sexistes au sein de l’éducation nationale.
Ces stéréotypes sont véhiculés par les enseignant(e)s, par certains manuels scolaires et par les institutions (grammaire où le masculin l’emporte systématiquement, école dite « maternelle » alors que des hommes peuvent aussi y exercer…).
Ces représentations, à force d’être répétées, deviennent des lieux communs. Elles rendent alors « naturelles » certaines différences entre hommes et femmes, qui sont en fait socialement construites (Simone de Beauvoir écrivait dès 1949 qu’« on ne naît pas femme, on le devient »), et permettent ainsi de légitimer la différence de traitement entre hommes et femmes.
Une société loin d’être égalitaire
En France, malgré de très nettes avancées dans ce domaine depuis un peu moins d’un siècle, de nombreuses inégalités entre hommes et femmes persistent : discrimination salariale, sous-représentation des femmes dans le monde politique, plafond de verre au niveau professionnel, répartition inégale des tâches domestiques, femmes davantage victimes de violences conjugales, etc. Le maintien de ces inégalités montre la persistance d’un système d’organisation patriarcale où les hommes dominent les femmes.
Le rôle de l’enseignant(e)
Le rôle d’un(e) enseignant(e) s’avère important dans le développement intellectuel de l’enfant. Sans minimiser le rôle de la famille, l’école peut permettre une certaine émancipation de l’élève, grâce à des apprentissages lui permettant d’acquérir outils intellectuels pour comprendre la société dans laquelle il vit, de développer un sens critique et une prise de recul par rapport aux événements de sa vie.
Dans la classe
Au-delà de la vigilance quant à une prise de parole répartie de façon égalitaire entre filles et garçons, au-delà aussi de la lutte quotidienne contre tous types de discriminations au sein de l’école, on peut envisager des séances spécifiques sur le thème de l’anti-sexisme. Voici un exemple de séquence, comportant 3 séances, que j’ai mises en place dans des classes de GS, CP, CM1 et CM2.
Il s’agit de recueillir (par le dessin, le collage, par une histoire lue) les représentations des élèves en terme de genre puis, à partir de ce recueil, de mettre en place un espace de dialogue entre l’enseignant(e) et les élèves et surtout entre les élèves eux-mêmes, en questionnant et en remettant en cause certains « acquis ». L’idée, ici, n’est pas de dire aux élèves ce qu’ils doivent penser, mais au contraire de les entraîner à développer un sens critique et un recul par rapport aux informations véhiculées. Il s’agit, par le questionnement et l’apport de contre-exemples, de réfléchir sur les idées toutes faites : pourquoi tu penses qu’un garçon ne doit pas jouer à la poupée ? Est-ce que vraiment aucun garçon ne joue à la poupée ? Et si un garçon jouait à la poupée ?
Mise en place
Dans une première séance, je demande aux élèves de dessiner sur une feuille un garçon ou une fille. Après avoir affiché les dessins des élèves au tableau, j’entreprends avec eux de lister, aux vues de ces productions, les caractères masculins et féminins que l’on peut observer (par exemple : cheveux longs, robes, boucles d’oreille… pour les filles, cheveux courts, pantalons, baskets… pour les garçons). Le débat porte alors sur le fait que chaque item peut être rencontré chez les filles et chez les garçons. Ainsi je leur demande, pour chaque élément de la liste, s’il n’est pas possible de le rencontrer chez l’autre sexe. La discussion est alors souvent très intéressante, on trouve des exemples et des contre-exemples (un garçon avec les cheveux longs, des filles qui portent des pantalons, etc.).
Des jouets très genrés
Pour la deuxième séance, je demande aux élèves, par groupe, de classer des images de jouets selon qu’ils considèrent le jouet représenté plutôt pour une fille, plutôt pour un garçon, ou alors pour les deux (mixte). Le dispositif de travail en groupe permet des discussions entre élèves, certains n’étant pas d’accord entre eux quant à l’utilisation plutôt par une fille ou plutôt par un garçon de tel ou tel jouet.
Une fois les posters finis et affichés au tableau, une discussion se met en place. À la question « pourquoi d’après vous, la colonne mixte est la moins remplie ? », certains garçons répondent que c’est parce que les filles et les garçons ne jouent pas ensemble. Mais, d’autres expliquent que ce n’est pas toujours vrai, parfois les filles et les garçons jouent ensemble. À la question « pourquoi il n’y a pas de poupons dans la colonne garçon », des élèves répondent que c’est parce que les garçons ne s’occupent pas de ça, mais à la question « vous n’avez jamais vu un papa s’occuper de son bébé », beaucoup répondent alors par l’affirmative. Le débat permet de trouver de nombreux contre-exemples (des filles qui jouent au football, des garçons qui font de la danse ou jouent à la poupée…).
Un peu d’émancipation
Dans une troisième séance, je lis l’histoire de La Fée sorcière de Brigitte Minne et Carll Cneut, édition Pastel. Cette histoire porte un message d’émancipation féminine puisque la petite fée veut échapper à sa condition, qui lui impose certains comportements. Elle veut vivre comme les sorcières, de façon plus libre et plus amusante. Il faut alors, pour elle, s’échapper de l’emprise de sa mère, qui ne veut pas qu’elle sorte du chemin tout tracé des fées. Finalement, c’est la petite fée qui réussira à convaincre sa mère de vivre avec un peu plus de liberté.
Une fois l’histoire terminée, un débat est lancé en demandant aux élèves leur avis sur l’histoire, ce qu’ils en ont pensé, ce qui leur a plu, déplu, est-ce qu’ils sont d’accord avec les choix de la petite fée, de la maman…
Des raisons d’espérer
La question de l’égalité homme/femme est, en théorie, réglée dans notre pays : institutionnellement, les hommes et les femmes ont les mêmes droits et toute discrimination est censée être punie par la loi.
Reste la pratique et les faits qui démentent ces droits fondamentaux. En effet, les mentalités traditionnelles résistent et consciemment ou inconsciemment, beaucoup (hommes et femmes) pensent encore que les femmes n’ont pas à être les égales des hommes, qu’il est normal que ceux-ci dominent.
Ainsi, l’école, qui prépare des futurs citoyens, peut et doit permettre la mise en pratique de l’égalité homme/femme en luttant notamment contre les stéréotypes sexistes. Ces pistes de travail montrent que la mise en place d’un espace de débat et de réflexion, même avec des enfants très jeunes, peut permettre une certaine déconstruction des représentations sexistes et par là même rendre plus effective l’égalité. L’école et surtout les enseignants, de par leur statut de modèle vis-à-vis des élèves, futurs adultes en formation, ont un rôle très important à jouer dans la construction de cette égalité. Il convient d’abord d’en être convaincu et de prendre conscience des problématiques du sexisme (réfléchir sur le poids de ses propres paroles et de ses comportements en tant qu’enseignant), et ensuite, de mettre en place des situations pédagogiques de déconstruction des stéréotypes sexistes ou autres (racistes, xénophobes, etc.). En effet, les stéréotypes sexistes ne sont qu’une partie des nombreux préjugés contre lesquels il est nécessaire de lutter. ■
Régis Tharrault, CNT éducation 34
■ Bibliographie
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