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Quelques trucs pour avoir la médiattitude
vendredi 16 juillet 2010, par
Par Jean-Pierre Fournier
Nous travaillons et luttons dans le réel, mais nous ne pouvons pas ignorer les représentations,
les médiations, les discours. Nous ne pouvons pas, devant cette complexité, plaquer un grand cache-sexe protecteur « presse bourgeoise ». « École de classe », aussi : mais quand on y est tous les matins,
on ne peut pas se contenter de deux-trois mots. Pour la presse, c’est pareil, il faut aller y voir de plus près.
Quelques chiffres pour sortir des incantations
Non, le monde des médias ce n’est pas Le Monde ou Libération (encore moins Politis).
Pour la presse écrite, ce sont les milliers de titres qui parlent d’autre chose que de politique et de société : des magazines de toute périodicité, la presse sportive, les quotidiens de tiercé (125 000 exemplaires quotidiens), les gratuits commerciaux, les gazettes locales, la presse d’entreprise, les revues techniques et professionnelles, les magazines de marque (700 000 exemplaires pour celui d’Ikea, par exemple), les journaux institutionnels (près de 5 millions d’exemplaires pour Vies de famille réalisé par la Caisse d’Allocations familiales). La presse d’informations « politiques et sociales », la presse d’opinion, c’est la cerise sur la gâteau : presque rien. Le cas de la presse régionale est plus ambigu : les pages d’actualité existent mais sont souvent bâclées, à l’exception de Ouest-France (le poids lourd : près de 800 000 exemplaires quotidiens). Et la presse des programmes télé (près de 20 millions d’exemplaires) est-elle de la presse écrite ?
Faut-il encore parler d’info pour la télévision ? Oui, même si elle est regardée essentiellement pour d’autres raisons (en moyenne plus de trois heures par jour). La pire est la plus vue/écoutée/laissée allumée (TF1 30 % d’audience, Arte un peu plus de 3 %) et les bébés n’y échapperont pas avec leur chaîne « à eux ».
Même constat pour internet : les deux premiers sont Skyblog, où des dizaines de milliers d’ados pleurent « lâche tes coms » [1], et le site de L’Équipe.
Cette information à laquelle nous tenons tant, ce sont donc quelques miettes de divertissement. Les Américains parlent d’infotainment, concentré d’entertainment et d’information. Il faudrait avoir ça en tête avant de décortiquer la « traîtrise » du Monde diplomatique ou les « vilenies » de Charlie hebdo.
Le problème avec les médias, ce n’est pas qu’ils ne disent pas ce qu’il faut parce qu’ils sont sous l’influence du capital, c’est que ce sont des entreprises qui cherchent à dégager des profits en étant à la fois créateurs et bénéficiaires du mode de vie de ce système ; pour avoir des ressources publicitaires, il faut avoir beaucoup de lecteurs/auditeurs, et taper en-dessous... du cerveau. La « désinformation » est structurelle.
Mais c’est désespérant, ton truc, qu’est-ce qu’on peut faire ?
Comme prof, surtout si la matière s’y prête, on peut aider les élèves à prendre un peu de distance avec les représentations médiatiques : le traitement des émeutes de 2005, ou le 11 septembre, ont donné droit à un matériau abondant, tant écrit qu’audiovisuel. Là encore, la dénonciation est inutile, mais l’étude du vocabulaire (émeutes, incidents ou violences ?), la mise en relation du média et de sa manière de décrire l’événement, l’apport d’infos complémentaires ou contradictoires est doublement utile : elle permet d’éviter des affrontements verbaux où chacun proclame son point de vue sans que personne n’avance, et peut, à la longue, montrer que la mise en scène de la réalité et la réalité, ça fait deux. Un média, ce sont des choix, des publics, et on peut essayer à l’école de s’y reconnaître dans cette jungle (à ce sujet, voir un numéro en ligne à paraître prochainement sur le site des Cahiers pédagogiques).
Comme militant, on se sera rendu compte que nous sommes à l’opposé de l’angle de vue de la plupart des journalistes. Ils sont en quête de l’exceptionnel, du jamais vu, nous cherchons à rapporter l’événement à ses causes, à essayer de le comprendre, à voir dans quelle mesure nous pouvons y intervenir positivement. Certes il y a des journalistes qui vont du cas particulier au général : ce sont des enquêtes qui demandent du temps et une belle obstination pour faire passer le papier. Mais, en général, il faut que ce soit nouveau et spectaculaire. Qu’une mère de famille algérienne soit renvoyée avec ses enfants dans un pays qu’elle a fui et où le pire l’attend, ça ne fera pas trois lignes. Ou peut-être si. À condition que le journal n’ait pas évoqué un autre drame semblable quelques jours avant.
Autre paramètre, celui de la proximité : la presse locale ou régionale même « réac » est souvent plus diserte sur un licenciement ou une grève que la « grande presse » de gauche, pour laquelle « c’est trop local ».
Tous ces paramètres, il faut les intégrer pour être efficace, pour pouvoir, avec une grande marge d’incertitude, joindre le journaliste qui, peut-être... Pour cela, mieux vaut connaître la presse avant, en tout cas ce tout petit secteur de la presse auquel on peut s’adresser.
Un truc en plus
Il est célèbre, c’est un slogan soixante-huitard, confirmé... notamment par cette revue : « Ne critiquez pas les médias, soyez votre média ». Faire un journal (un site, une revue, un blog) scolaire, de quartier, syndical, associatif, en faire plusieurs même... et vous aurez la médiattitude. Plus que celui qui pousse son communiqué dans la mer aux requins.
Mini-sitographie pour s’y reconnaître
On commence... par lire la presse (du monde entier)
http://www.netvibes.com/kiosquelycee#Accueil
– Des sites statistiques :
www.mediametrie.fr pour radio-télé-internet
www.ojd.com pour la presse écrite
– Des sites pour travailler en classe :
www.clemi.fr : medias-école
www.gremm.org : medias-enfants
– Un site critique : www.acrimed.org très complet.